« Voltaire contre-attaque » : et il est comment le dernier André Glucksmann ?
Quoi de neuf ? Voltaire, répond Glucksmann. Plus précisément, son conte le plus célèbre : Candide. Au début, on est un peu sceptique. En quoi les péripéties de Candide, de Cunégonde et du docteur Pangloss seraient-elles actuelles ? Le combat contre "l’optimisme" de Leibniz ne s’est-il pas conclu en faveur de l’essayiste français contre le philosophe allemand ? Qui croit encore à la Providence ? Ne sommes-nous pas tous déniaisés, dans un monde désenchanté ? N’avons-nous pas appris à cultiver notre jardin et, ce faisant, à devenir prospères, tolérants et paisibles ?
Oui et non, répond Glucksmann. Si l’Europe a retenu la leçon de Candide, rien ne prouve qu’elle ne puisse pas l’oublier demain. La montée de l’intolérance, la peur de l’étranger, le rejet de la construction européenne en sont des symptômes. L’infâme, aujourd’hui, ce n’est plus l’Église toute-puissante du XVIIIe siècle, ce sont tous les cas d’"accord du sacerdoce et de l’empire", de "fusion du dogme et de l’épée" qui prospèrent sur le globe : Daesh, les enragés hindous du RSS, les fondamentalistes de la Bible Belt… "L’infâme […] peut être religieux ou politique ou mafieux, ou les trois à la fois."
Contre l’infâme et ses habits neufs, Glucksmann fait de Candide un précurseur de la dénonciation par Hayek du "constructivisme", cette idée dangereuse selon laquelle la politique doit être guidée par la volonté de construire un certain type de société. Glucksmann fait remarquer que Candide ne "construit" rien. "Pas de finalité, pas de point final." Candide "survit au jour le jour", il illustre, contre toutes les folies collectives, "la grande aventure personnelle : comment devient-on libre ?" C’est tout ? Voltaire est insuffisant, grognait Mme du Deffand, puisqu’après avoir "déboulonné" les idoles, il ne propose rien à la place.
Justement : c’est peut-être en cela qu’il est si actuel. Aux millions d’Indiens, de Chinois, d’Africains, d’Arabes qui entrent dans la modernité, il faut offrir Candide pour qu’ils y trouvent ce que Kant résumera ainsi : "Les Lumières, c’est pour l’homme sortir de son incapacité à se servir de son entendement sans la direction d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de comprendre !" Un essai salutaire.
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