Mauritanie : entre les Flam le torchon brûle
Un an après le retour au pays de leurs leaders, les militants de la cause négro-mauritanienne des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam) s’entre-déchirent. Faut-il intégrer un parti politique ou rester au sein de la société civile ?
Mauritanie, cinq ans pour tout changer
Réélu en juin 2014 pour un dernier mandat, Mohamed Ould Abdelaziz a bien des atouts en mains pour atteindre ses objectifs. Même si plusieurs inconnues subsistent, à commencer par la menace terroriste ou la mise en place du dialogue avec l’opposition.
"Faire des Flam un parti politique revient à légitimer le régime !" Pour ce cadre en exil des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), mouvement emblématique de la lutte des Négro-Mauritaniens face à un État qualifié de "raciste, esclavagiste et dictatorial", le congrès extraordinaire qui s’est tenu à Nouakchott les 29 et 30 août a des allures de renoncement. Malgré des oppositions internes, la dissolution de l’organisation a été entérinée, ainsi que sa mutation en parti politique, les Forces progressistes du changement (FPC).
En 1986, trois ans après la création du mouvement radical, ses dirigeants publient le "Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé". Ils sont alors arrêtés, avant de s’exiler, comme la plupart de leurs militants. Longtemps hors la loi et diabolisé en son pays, le mouvement a bénéficié l’an dernier de mesures d’apaisement de la part du régime de Mohamed Ould Abdelaziz.
Le 24 septembre 2013, Samba Thiam et Kaaw Touré, le président et le porte-parole des Flam, débarquaient à l’aéroport de Nouakchott, foulant le sol mauritanien pour la première fois après vingt-trois années d’exil. Les précédant de quelques mois, Ibrahima Mifo Sow, le vice-président de l’organisation, avait préparé leur retour en posant les jalons d’une intégration officielle des Flam à la vie politique mauritanienne – dans le camp de l’opposition, cela va sans dire : "Une opposition hors système, mais une opposition responsable", selon les termes de Samba Thiam.
Irréductibles flamistes
Un an plus tard, l’option légaliste défendue par la présidence du mouvement a accouché d’un schisme. "Les Flam sont un mouvement de libération nationale, il est prématuré d’en faire un parti politique comme les autres", analyse notre cadre en exil. Pour l’aile radicale des Flam, "les conditions préalables avant de se prêter au jeu politique ne sont toujours pas réunies : la démocratisation du pays n’est pas acquise, la question des réfugiés et celle de l’esclavage ne sont pas réglées, et l’enrôlement [recensement] des populations noires est toujours contesté."
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du mouvement que ses troupes divergent sur la conduite à adopter.
En Mauritanie comme dans la diaspora, nombre d’irréductibles flamistes rejettent donc la dissolution, dénonçant un congrès illégitime, organisé sans respect des statuts du mouvement, et revendiquant la poursuite d’un militantisme radical déconnecté du jeu démocratique traditionnel. "Le congrès, qui devait se réunir depuis le mois de mars, s’est tenu dans les règles, rétorque Kaaw Touré. Une majorité s’est dégagée afin de poursuivre la lutte frontalement sur place plutôt que de maintenir l’organisation en exil. Les Flam ont été absents du terrain pendant vingt-sept ans, ils se doivent désormais de l’occuper."
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du mouvement que ses troupes divergent sur la conduite à adopter. Au lendemain du renversement de Maaouiya Ould Taya, en août 2005, une aile de l’organisation, considérant que la donne avait changé, avait prôné le retour des Flam au pays et leur intégration dans le jeu politique. Ces dissidents ont donné naissance aux Flam-Rénovation, lesquelles ont ensuite fusionné avec l’Alliance pour la justice et la démocratie (AJD) pour former, en 2007, l’Alliance pour la justice et la démocratie/Mouvement pour la rénovation (AJD/MR), emmenée par Ibrahima Moctar Sarr. Fondateur et ancien membre des Flam, ce dernier a été candidat aux élections présidentielles de 2007, 2009 et 2014.
Menace sur la cohésion du peuple et l’intégrité territoriale ?
Outre ces dissensions, dont on ne peut aujourd’hui augurer des suites, le congrès des ex-Flam, désormais FPC, a formulé une proposition qui, elle aussi, suscite la polémique. En revendiquant l’autonomie des régions, les FPC se sont en effet attiré les foudres du régime. Ainsi, Sidi Mohamed Ould Maham, le nouveau président de l’Union pour la République (UPR, parti présidentiel), les a qualifiés de "séparatistes", rejetant fermement ce projet qui menace, selon lui, la cohésion du peuple mauritanien et l’intégrité territoriale du pays.
Des critiques balayées par Samba Thiam, qui considère que "la Mauritanie possède une réalité tribale, ethnique et régionale têtue", sur laquelle les FPC ne sauraient fermer les yeux. "L’autonomie demeure un projet de réorganisation territoriale et administrative plus adapté à notre réalité socioculturelle, ethnique et tribale, sans plus, avait-il rappelé lors du congrès. Elle se fonde sur des critères objectifs, naturels, plus à même de réduire les tensions ethniques récurrentes et de favoriser la cohésion sociale. À nos yeux, elle constitue juste une étape, transitoire mais nécessaire, vers la gestation de l’État-nation, qui ne se décrète pas."
Reste que, au moment où l’exécutif entend promouvoir une arabisation des correspondances de l’armée, décision de nature à reléguer davantage les populations non arabophones dans les marges, tout en promettant, par la bouche même du président Ould Abdelaziz, de "garantir les droits de tous les citoyens, leur égalité devant la loi et devant les services de l’État", le mouvement d’émancipation des Négro-Mauritaniens apparaît plus éclaté que jamais.
>> Lire aussi : Négro-mauritaniens : retour sur 25 ans de solitude
FPC, Flam dissidents, Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste, AJD/MR, Parti pour la liberté, l’égalité et la justice (Plej), Arc-en-Ciel, Touche pas à ma nationalité… La question "raciale" est aujourd’hui au coeur des préoccupations de nombre d’organisations qui se sont jusqu’à présent abstenues de fusionner au sein d’une coalition "communautaire" et dont les approches respectives reflètent le dilemme qui agite l’opposition depuis la fin du règne de Maaouiya Ould Taya : faut-il ou ne faut-il pas participer au jeu électoral ?
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