Maroc : ce terrorisme ordinaire…
Il n’y a malheureusement plus de mots pour qualifier le torrent de haine qui s’est déversé sur les réseaux sociaux après la mort de deux jeunes filles marocaines dans l’attentat terroriste qui a endeuillé la Turquie, durant la nuit du nouvel an 2017.
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Nadia Lamlili
Nadia Lamlili est responsable de la zone Maghreb/Moyen-Orient sur le site de Jeune Afrique. Elle est en particulier spécialiste du Maroc.
Publié le 5 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.
« Que faisaient-elles là-bas ? », se demande un illuminé de Facebook. « Si elles étaient des filles de bonne famille, elles ne seraient pas allées en boîte de nuit !», renchérit un autre. « Pourquoi s’émouvoir de la mort de ces prostituées [sic] alors que des enfants innocents meurent en Syrie et que de pauvres gens crèvent de froid dans les montagnes ? « , enchaîne un troisième.
Dernière éructation, en guise de coup fatal : « Ce sont nos ambassadrices en Turquie et il y en a, comme elles, des milliers en Europe et dans les pays du Golfe ».
Comme si ces commentaires ne menaçaient pas déjà d’éteindre toute étincelle d’humanité en nous, quelques « médias » marocains ont rejoint le cortège des propos ignominieux en publiant des articles expliquant « comment la Turquie est devenu le bastion des Marocaines pour rencontrer des hommes du Golfe loin des regards des Marocains ». La course à l’échalote de l’audience malsaine a sacrifié toute la décence requise envers la mémoire des victimes et la douleur de leurs familles.
Où va-t-on ? Où va cette société malade du statut qu’elle accorde aux femmes, qui enlève à ces dernières leur droit de circuler librement, leur droit de s’amuser et même jusqu’à leur droit de vivre ? Une société où une partie de la jeunesse, lâchée dans la nature sans encadrement, nous renvoie à la figure l’échec de notre système d’éducation et les décennies d’abrutissement idéologique banalisant les scènes de violence envers les femmes à l’intérieur comme à l’extérieur des maisons ?
Ils tabassent une actrice parce qu’elle a joué le rôle d’une prostituée dans un film !
Des études récentes nous disent qu’une grande partie de la jeunesse arabe ne soutient pas Daesh et que les départs vers les « camps de la mort » syro-irakiens ont baissé. Bien. Mais des graines de terroristes sont toujours parmi nous. Des jeunes cassent tout aux abords d’un stade à la sortie d’un match mouvementé. Ils glorifient un fou qui a fusillé un ambassadeur russe et en font un héros au nom de l’islam et de la cause syrienne. Ils violent le domicile d’un couple d’homosexuels à Béni Mellal, les insultent, les frappent, les filment et diffusent une vidéo, dégoulinante de sang et de haine, sur le web. Ils tabassent une actrice parce qu’elle a joué le rôle d’une prostituée dans un film…
Symbole de la déchéance humaine, les insultes proférées à l’égard des femmes victimes de l’attentat d’Istanbul constituent une apologie du terrorisme au même titre que la glorification de l’assassinat de l’ambassadeur russe en Turquie, dont les auteurs sont actuellement auditionnés par un juge d’instruction. Pourquoi les autorités marocaines n’interviennent-elles pas pour le dernier cas en date ? La question est d’autant plus légitime que des médias, soumis à un code de la presse, se mettent à jouer le jeu de la violence.
Dans ce projet de société en souffrance, une grande plaie déchire le Maroc et ne cicatrise pas : l’éducation
Las, ce n’est pas une nouveauté dans le royaume. À plusieurs reprises, des chaînes de radio privées ont donné la parole à des cheikhs d’un autre âge édictant leur vision manichéenne du halal et du haram sans que l’autorité chargée de la régulation de l’audiovisuel n’intervienne.
Il n’est jamais facile de demander une intervention sécuritaire qui peut à n’importe quel moment dériver vers un durcissement du contrôle du web – lequel libère effectivement la parole pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Quoi qu’il en soit, derrière le populisme hideux qui gangrène la société, c’est en réalité tout un projet de société qui est en souffrance. Et dans ce projet de société, une grande plaie déchire le Maroc et ne cicatrise pas : l’éducation.
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