Attentat en Turquie : la seconde mort des victimes marocaines

Des victimes, notamment marocaines, de l’attentat du 31 décembre en Turquie, font l’objet de remarques outrageantes sur les réseaux sociaux. Quel serait leur crime ? Avoir fréquenté une boîte de nuit…

L’œil de Glez. © Glez / J.A.

L’œil de Glez. © Glez / J.A.

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Publié le 5 janvier 2017 Lecture : 2 minutes.

Il y a des « mais » qui tuent. Ou plutôt des « mais » qui re-tuent, comme lorsque se déploie cette pensée : « Il faut condamner le terrorisme, mais tout de même… ». Au cœur de la nuit de la Saint-Sylvestre, un homme ouvre le feu dans une discothèque du quartier d’Ortaköy, à Istanbul, tuant une quarantaine de personnes d’une quinzaine de nationalités. C’est le premier attentat revendiqué par l’État islamique sur le sol turc.

Dans chaque pays meurtri, un deuil hélas récurrent s’organise dans la dignité habituelle. Mais quelques voix discordantes se font pourtant entendre, d’abord sur les réseaux sociaux, notamment maghrébins. Évoquant le décès de deux jeunes Marocaines, par exemple, le fondateur d’un site électronique partage une question qui le taraude : « Que faisaient ces filles dans une boîte à Istanbul ? ». Comme si la mort brutale n’était pas suffisamment triste pour épargner aux familles des victimes l’idée qu’un passage en boîte de nuit reviendrait à « l’avoir bien cherché »…

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« Depuis quand la joie est-elle un crime ? »

Où est le curseur de « l’enjaillement » légitime pour les fous de Dieu ? Fréquenter le stade que les terroristes de Paris tentèrent d’investir le 13 novembre 2015 est visiblement « haram » aux yeux des jihadistes – le foot est pour eux une religion interdite… Mais que dire des terrasses où des victimes furent abattues le même jour ? Y rester sobre, à proximité de buveurs d’alcool, déplacerait-il le curseur, à défaut d’amadouer les terroristes ? Et les salles de concert comme le Bataclan ? Faut-il nuancer l’innocence des mélomanes, selon la musique qui y est interprétée, le rock alternatif des Eagles of Death Metal étant difficilement admissible ? Et à supposer qu’écouter de la musique soit tolérable, l’apprécier en se trémoussant dans un dancing reviendrait-il à franchir le Rubicon de l’indécence ? « Depuis quand la joie est-elle un crime ? » s’interrogeait, le lendemain du massacre d’Istanbul, Nicole Hajal, présentatrice du journal télévisé de la chaîne LBC International.

Les inquisiteurs anti-discothèques seraient-il aussi terroristes que les terroristes ?

Si le qualificatif de « prostituées de luxe » truffe les messages insultants à l’égard des Marocaines tuées à Istanbul, il n’est pas seulement « documenté » par le traditionnel cliché « night-club = drague ». Il a aussi été nourri par une enquête re-digérée pour l’occasion par plusieurs sites électroniques marocains, un article qui présente la Turquie comme « un repaire pour les Marocaines désirant rencontrer des gens du Golfe à l’abri des regards des Marocains ». Et le démon de l’amalgame, si souvent dénoncé dans ces mêmes contrées, fait le reste…

Si les autorités du Maghreb restent pondérées sur les insinuations abjectes formulées à l’égard des victimes de l’attentat, nombre de citoyens les dénoncent comme une franche louange du jihadisme urbain. Sur Facebook, le mouvement « Stop à l’apologie du terrorisme ! » considère que le déferlement de propos haineux constitue une « prise en otage de la jeunesse par ceux qui n’ont d’autre but que de ‘daechiser’ les esprits ». Les inquisiteurs anti-discothèques seraient-il aussi terroristes que les terroristes ? Encore une affaire de curseur.

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Des fleurs jonchent le sol devant l’entrée de la boite de nuit le Reina à Istanbul, cible d’un attentat, le 1er janvier 2017, qui a fait 39 morts. © Emrah Gurel/AP/SIPA

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