Isabel, Ebola et les diamants
Enfin ! Il aura fallu attendre huit mois, plus de 5 000 décès recensés, 14 000 cas répertoriés et les dernières ruses mortifères d’une épidémie qui se laisse dompter en apparence au Liberia pour mieux rebondir en Sierra Leone, en Guinée et peut-être demain au Mali, pour que les milliardaires du continent mettent la main à la poche. Les Américains Bill Gates, Mark Zuckerberg et Paul Allen avaient montré la voie, Aliko Dangote, Tony Elumelu et Patrice Motsepe suivent. Mieux vaut tard que jamais. Nulle trace, par contre, dans la liste des hommes d’affaires qui, le 8 novembre, ont décidé de contribuer au fonds d’intervention d’urgence contre Ebola, des grosses fortunes blanches d’Afrique du Sud, tels que Nicky Oppenheimer et Johann Rupert, ni de celles d’Afrique du Nord, comme Issad Rebrab, Naguib Sawiris ou Othman Benjelloun. Nulle trace non plus, sous réserve d’inventaire, d’un élan de solidarité venu de ces grands groupes européens qui réalisent sur le continent une part substantielle de leurs bénéfices – Total, Bolloré, Castel, Bouygues, entre autres. Leur participation à tous serait pourtant la bienvenue : selon l’ONU, il faudrait quatre fois plus de lits spécialisés et de personnel soignant, ainsi que le double du milliard de dollars envisagé, pour faire face à l’hydre dans les six mois à venir.
Le hasard, qui n’a que faire de la décence, a voulu que l’on apprenne le 9 novembre, lendemain de la création de ce fonds d’urgence, un lancement d’une tout autre nature. L’Angolaise Isabel dos Santos, sixième fortune d’Afrique et l’une des grandes absentes de la liste des donateurs contre Ebola, a mis sur la table une offre publique d’achat de Portugal Telecom pour… 1,2 milliard de dollars. À 41 ans, la femme la plus riche d’Afrique, qui, en dépit de ses indéniables qualités professionnelles, ne parviendra jamais à faire croire que sa position de fille aînée du président José Eduardo dos Santos (au pouvoir depuis trente-cinq ans) n’est pour rien dans sa réussite fulgurante, vise, dit-on, le marché brésilien à travers celui de la téléphonie portugaise. Un coup de billard à trois bandes particulièrement astucieux de la part de cette native de Bakou, en Azerbaïdjan, déjà très présente dans les secteurs de la banque, de la distribution et de l’immobilier de l’ex-puissance coloniale. Même si son père n’a, pour l’essentiel, participé que de loin à la lutte de libération, cela a en outre un petit goût de revanche sur l’Histoire.
"Je ne fais pas de politique, je fais du business. À 6 ans, je vendais des oeufs", explique Isabel, très discrète en dehors de ses anniversaires de mariage (le dixième, il y a deux ans, particulièrement fastueux, a duré trois jours). Son mari, Sindika Dokolo, dont le père fut l’un des tout premiers banquiers africains, est un collectionneur d’art avisé qui donne également dans le ciment, le pétrole et – à l’instar de son épouse – dans le diamant : son rachat en 2012 d’un célèbre joaillier suisse via toute une série de sociétés écrans a fait couler beaucoup d’encre. Piqué au vif par les critiques sur l’opportunité de ce deal à plus de 100 millions de dollars, alors que le salarié angolais moyen en gagne à peine 10 par jour, Dokolo avait alors donné à un journal de Lisbonne ce qui est à ce jour son unique interview (et encore : écrite). Ce fils d’un Congolais et d’une Danoise décelait dans les attaques dont il faisait l’objet une forme de discrimination à l’encontre des Africains, qui, disait-il, doivent pouvoir concourir comme les autres au grand jeu de la mondialisation. Il n’a sans doute pas tort. Le problème avec Ebola, hélas, c’est qu’une épidémie ne sera jamais "bankable"… l
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