Mali : les illusions perdues de Sirafily Diango

Ancien militant, le dramaturge Sirafily Diango a trouvé une façon de poursuivre la politique par d’autres moyens : l’écriture. Acteur, il sera sur les planches du festival Théâtres des réalités de Sikasso (Mali), du 1er au 7 décembre.

Sirafily Diango dans une salle de classe au Mali. © Emmanuel Daou Bakary

Sirafily Diango dans une salle de classe au Mali. © Emmanuel Daou Bakary

Publié le 16 novembre 2014 Lecture : 3 minutes.

La politique ? Très peu pour lui. Sirafily Diango a remisé depuis longtemps ses habits de militant pour se tourner vers une autre forme de résistance : le théâtre. Ce professeur de français, natif de la région de Koutiala, dans le sud du Mali, y a trouvé son arme, son exutoire.Le premier jet de sa pièce Il pleut sur le Nord a été écrit en deux jours, dans la foulée du coup d’État du 22 mars 2012.

Extatique, whisky à portée de main, Sirafily a craché sa rage sur le papier, contre le régime du président déchu, Amadou Toumani Touré, contre un "système ATT" qu’il résume ainsi : "Celui qui mange ne parle pas." La pièce retrace par l’absurde la fin du règne d’un président "assis sur ses fesses molles, continuant de dire "tout va bien" quand Ménaka était déjà aux mains des rebelles". Lorsque ATT est finalement renversé par le général Sanogo, Sirafily exulte : "Durant plusieurs mois, je n’ai pas voulu accepter la réalité, explique-t-il. Dans ma grande naïveté, je voulais voir en Sanogo un libérateur, un Sankara, un Nkrumah… Mais c’est un monstre. C’est Ubu roi !"

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Sirafly envoyé au bagne

Il pleut sur le Nord est le premier opus d’une trilogie (avant Il pleut sur le Sud et Il neige sur Kidal). Entre deux cours, Sirafily travaille sur sa deuxième pièce, celle qui parlera des désillusions qui s’accumulent. Car l’auteur n’en est pas à sa première : du temps de la dictature et des luttes clandestines, Alpha Oumar Konaré était son professeur, un mentor, jusqu’à ce qu’il rejoigne le gouvernement de Moussa Traoré. En 1978, au Mali, la "transhumance politique" a pour Sirafily un goût amer.

L’année suivante est marquée par les révoltes étudiantes. C’est "l’année Cabral" – surnom du leader charismatique de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (Eneem). Dans ce vivier de militants, Sirafily est son compagnon de lutte. "Je tractais, j’écrivais… On voulait prendre tous les symboles de l’État, tout casser." Bamako, divisé par le fleuve Niger, est en flammes. Avec d’autres camarades, Sirafily est envoyé au bagne, à Kidal. Quelques mois plus tard, Cabral est assassiné. Sirafily termine ses études en lettres modernes. S’ensuivent les années de galères, "douze métiers, treize malheurs" : vendeur de charbon, de bois… Sirafily prend la tangente.

Le Burkina Faso, encore animé par le fantôme de Thomas Sankara, est trop tentant. Il s’y installe en 1988 et enseigne dans l’une des "écoles démocratiques populaires" créées par le leader assassiné. "Ça a été ma contribution à la révolution. Blaise Compaoré était au pouvoir, mais il n’osait pas encore balayer l’oeuvre de Sankara…" Sirafily se nourrit du patriotisme burkinabè, comme il s’est nourri des livres prêtés par ses enseignants militaires russes, au lycée. "On n’avait pas de photocopieuse, alors je recopiais tous les livres que j’aimais. Le "Lénine abrégé", l’oeuvre de Pouchkine… C’est peut-être comme ça que l’écriture m’est venue."

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"L’islamisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme"

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C’était une autre époque, celle du panafricanisme, des "non-alignés" : "Avant l’impérialisme arabe", dit-il. Pour Sirafily Diango, "Dieu est mort depuis longtemps". Il s’est fâché avec la religion dès l’enfance, au village, en voyant les jeunes talibés "stockés dans des cases, exploités comme des esclaves". "L’islamisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme", dit-il. Marié à une catholique, il prie quand même parfois, "pour lui faire plaisir".

Pour la première fois de sa vie, en juillet 2013, il a voté. Pour IBK, suivant les consignes de son ancien compagnon de lutte, Oumar Mariko, président du parti Sadi. Mais de ce mandat, il n’espère aucun changement. Les dirigeants maliens, pour lui, c’est "bonnet blanc et blanc bonnet". Lassé des "révolutions de salon", délivré de ses illusions, Sirafily veut continuer à torpiller "ses" traîtres : Ouattara, Compaoré, Sanogo… La liste est longue et le combat sans fin. Pour se justifier, il cite Marcel Proust : "J’écris parce que je suis un nerveux."

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