Housseini Salaha, procureur de Gao : « L’État malien doit mieux protéger ses magistrats »

Housseini Salaha, procureur de la République à Gao, dans le nord du Mali, détaille la vie quotidienne des magistrats de son tribunal, entre menaces terroristes et intimidations par les groupes armés. Interview.

Un soldat malien à Gao, le 7 février 2013. © Jerome Delay/AP/SIPA

Un soldat malien à Gao, le 7 février 2013. © Jerome Delay/AP/SIPA

Publié le 6 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Quels sont les plus grandes difficultés auxquelles vous faites face à Gao ?

Housseini Salaha : Le plus grand problème est dû à l’insécurité. Nous avons de sérieuses raisons d’avoir peur, car nous traitons ces problèmes au quotidien. À longueur d’année, nos officiers de police judiciaire nous rapportent des affaires d’enlèvement de personnes, de tueries dans les concessions familiales, mais aussi dans les rues, y compris dans les grandes artères… C’est une situation qui se perpétue jusqu’à aujourd’hui.

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Est-ce que vous êtes particulièrement visés ?

Le 23 janvier 2016, j’ai été victime d’une attaque à mon domicile par deux assaillants que nous n’avons pas encore pu identifier. L’un d’eux a été maîtrisé par mes gardes [il a été abattu sur le champ, NDLR], et le second est toujours dans la nature. Par ailleurs, il règne une grande confusion au tribunal par rapport aux entrées et aux sorties : nous avons toute sorte de justiciables, sans beaucoup de moyens de contrôle. C’est inquiétant, mais nous travaillons avec foi et détermination.

Vous pensez qu’a Gao, la sécurité des magistrats n’est pas assurée ?

À l’exception du président du tribunal et de moi-même, les autres magistrats au nombre de huit à dix personnes, qui sont pour la plupart jeunes et à leur premier poste, n’ont aucune garde rapprochée et ne bénéficient d’aucune sécurité, ni à leur bureau ni à leur domicile. C’est une situation qu’il faut revoir. Les magistrats sont menacés, et les audiences sont publiques. Nous vivons une situation très difficile qui ne nous permet même pas de circuler tranquillement dans la ville.

Nous avons parlé aux autorités chargées de notre sécurité, mais aucune réponse n’a été donnée

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Par exemple, je reste à mon bureau de 8h à 16 heures, puis je rentre à mon domicile et je n’en ressors que le lendemain à 8 heures. En raison des consignes sécuritaires, je ne peux même pas me permettre de rentre visite à des voisins et je ne peux pas les recevoir non plus. C’est stressant et nous pensons que l’État doit reconnaître cette situation. Nous avons parlé aux autorités chargées de notre sécurité, mais aucune réponse n’a été donnée.

Si le tribunal n’est pas sécurisé, est-ce qu’un jugement équitable y est possible ?

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Nous pensons que le jugement est et sera équitable parce que quand un magistrat s’engage, c’est une fois pour toute. Mais c’est vrai qu’en dehors de deux ou trois gardes qui se promènent dehors, dans la cour et devant la porte, il n’y a aucun contrôle physique avant de rentrer dans le prétoire. C’est un grand risque, et pourtant nous avons sollicité les autorités pour qu’elles sécurisent le bâtiment du tribunal et l’accès à la salle, ce qui rassurerait au moins les magistrats.

Pendant les jugements, est-ce que les juges ont déjà reçu des intimidations ?

Il y a plutôt une ambiance de menace et d’intimidation. Dans toutes les procédures que nous traitons, dans le cadre d’une simple enquête préliminaire, dans le bureau du procureur ou devant les juges, les personnes impliquées se font accompagner par des gens qui se réclament de tel ou de tel mouvements armés (milices alliées du gouvernement, NDLR). Cela veut dire que le magistrat ou le juge qui devra engager des poursuites, n’aura pas l’esprit tranquille : il sait qu’il sera exposé à la violence physique. Cela pose un gros problème. L’État doit mieux nous protéger et nos traitements en matière d’avantages sociaux doivent être réévalués.

À Gao, quels sont les dossiers qui reviennent le plus souvent à la table ?

Ces sont des dossiers d’enlèvement de personnes, de port illégal d’arme, d’assassinat… En 2016, nous avons traité 3 cas d’enlèvement de personnes, 10 cas de port illégal d’arme et 9 cas de terrorisme. On a aussi traité 8 cas d’homicides involontaires, 2 cas de coups mortels et 1 cas de tentative d’assassinat. Nous avons à faire à des gens qui posent des bombes ou qui profèrent de menaces de mort : ce sont ceux qui viennent des mouvements jihadistes. À cause de la sensibilité de ces dossiers, nous les renvoyons aux pôles judiciaires spécialisés de Bamako. Ici à Gao, nous traitons fréquemment des dossiers d’association de malfaiteurs, de braquage sur la route, etc…

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