États-Unis : la vague rouge et le canard boiteux

Après leur récent triomphe électoral, les républicains contrôlent les deux chambres du Congrès et tiennent Barack Obama à leur merci. Sont-ils pour autant assurés de remporter la présidentielle, dans deux ans ? C’est une autre histoire.

Barack Obama et Tom Wolf, le candidat démocrate, le 2 novembre. © Saul Loeb/AFP

Barack Obama et Tom Wolf, le candidat démocrate, le 2 novembre. © Saul Loeb/AFP

Publié le 13 novembre 2014 Lecture : 5 minutes.

Les élections de la mi-mandat (midterm) étant traditionnellement défavorables au parti du président, la défaite des démocrates ne faisait guère de doute. Mais on s’interrogeait sur son ampleur. Eh bien, on a été servi ! Comme en 2010, c’est une véritable "raclée", terme utilisé à l’époque par Barack Obama. Une grosse vague républicaine vient de balayer le paysage politique américain.

La totalité des membres de la Chambre des représentants (435), un tiers des sénateurs (36) et 36 gouverneurs sur 50 remettaient leur siège en jeu. Déjà majoritaires chez les représentants, les républicains conquièrent 14 sièges supplémentaires. Surtout, pour la première fois depuis 2006, ils reprennent le contrôle du Sénat : 53 sièges sur 100. Ils pourraient en conquérir un autre en Louisiane, où, les deux candidats n’ayant pas pu se départager, un nouveau scrutin aura lieu le 6 décembre. Le Grand Old Party (GOP) arrache aux démocrates sept États : Colorado, Iowa, Virginie occidentale, Arkansas, Montana, Dakota du Sud et, surtout, Caroline du Nord.

la suite après cette publicité

Le New York Times ne s’y est pas trompé. Le lendemain du scrutin, il a publié en première page une photo de Thom Thillis, vainqueur surprise dans ce dernier État de Kay Hagan, la démocrate sortante. L’autre star de la consultation se nomme Joni Ernst, première femme élue sénatrice dans l’Iowa. L’un de ses spots télévisés avait fait sensation : on y voyait la candidate en train de castrer un porc !

>> Lire aussi : Tim Scott et Mia Love, deux élections retentissantes

Depuis 30 ans, seul G. W. Bush a fait pire

Les gains du GOP sont encore plus spectaculaires s’agissant de l’élection des gouverneurs. La Floride et le Wisconsin ont réélu leurs gouverneurs républicains, alors que le Maryland, le Maine et le Massachusetts, fiefs démocrates, ont basculé dans l’autre camp. En Géorgie, le démocrate Jason Carter, petit-fils de l’ancien président Jimmy Carter (1977-1981), a été battu.

la suite après cette publicité

Rien ni personne n’a pu empêcher la déroute. Ni la campagne de Bill Clinton en Arkansas, État dont lui-même fut naguère gouverneur, pour aider Mark Pryor, le sortant démocrate. Ni celle de Hillary, son épouse, pas encore officiellement candidate à la présidentielle de 2016 : la plupart des candidats qu’elle soutenait ont été battus. Ni les efforts désespérés pour inciter les jeunes et les représentants des minorités à voter démocrate. À l’évidence, les Latinos ont fait payer à Obama l’échec de sa réforme de l’immigration.

Pendant la campagne, les candidats démocrates se sont prudemment abstenus de solliciter l’aide du président en raison de son impopularité abyssale. Quarante-deux pour cent d’opinions favorables est ici un score catastrophique – même si, de l’autre côté de l’Atlantique, certains s’en contenteraient volontiers ! C’est bien simple, depuis trente ans, seul G. W. Bush a fait pire : 38 % avant les midterms de 2006. Dans le Kentucky, Alison Lundergan Grimes, la candidate démocrate battue par Mitch McConnell, le nouveau chef de la majorité républicaine au Sénat, n’a jamais voulu reconnaître publiquement qu’elle avait voté Obama en 2006 et en 2012 !

la suite après cette publicité

Les républicains ont réussi à faire de cette consultation un référendum sur la politique et la personne du président, ce qui leur a permis de faire oublier que leur cote de popularité est encore plus médiocre que celle des démocrates : 33 % contre 39 %. Mais ils ont surtout profité du manque de leadership d’Obama sur la scène internationale et des nombreux couacs de son administration : lancement raté du site informatique de l’Obamacare, gestion désastreuse de l’afflux de mineurs venus d’Amérique centrale, irruptions répétées d’intrus à la Maison Blanche…

Le plus frappant reste le mécontentement exprimé par les électeurs, ce dont témoigne la faiblesse du taux de participation (40 %). Ce désenchantement a indiscutablement été nourri par l’extrême virulence de la campagne. Car on a assisté à un déferlement de spots télévisés délirants, certains allant jusqu’à affirmer que des membres de l’État islamique s’étaient clandestinement introduits aux États-Unis à partir du Mexique. N’importe quoi !

Les électeurs ont donc sanctionné Obama en dépit du redémarrage de l’économie américaine : sans doute 3,5 % de croissance cette année, et un taux de chômage revenu à 6 %. Pour expliquer sa défaite, le président a plaidé que les trente-six sénatoriales avaient lieu cette année dans des États traditionnellement républicains – "la pire configuration depuis Eisenhower", a-t-il dit. Mais force est de reconnaître qu’il a aussi commis des maladresses, comme lorsqu’il a déclaré que si son nom ne figurait pas sur les bulletins de vote, tel n’était pas le cas de sa politique. Fureur des candidats démocrates, résolus à se démarquer à tout prix de ladite politique !

Jamais le fossé entre républicains et démocrates n’a été aussi profond

En dépit de ses promesses de 2006, le président a échoué à enrayer la polarisation raciale et politique des États-Unis. Jamais le fossé entre républicains et démocrates n’a été aussi profond. Quant à la fameuse Amérique postraciale, son avènement n’est à l’évidence pas pour demain. En Géorgie, seuls 21 % des électeurs blancs ont une bonne opinion d’Obama.

La fin de mandat de celui-ci risque d’être longue. Face à un Congrès hostile, il ne dispose que d’une marge de manoeuvre restreinte. Il est devenu un lame duck, comme on surnomme ici un président dans cette situation. Autrement dit : un canard boiteux. Le 5 novembre, lors d’une conférence de presse, il s’est pourtant montré combatif et a exhorté les républicains à coopérer.

"Nous devons travailler ensemble pour mettre en oeuvre les idées qui marchent", a-t-il dit. Il a même invité McConnell à en discuter devant un bourbon – du Kentucky, sans doute. Mais il a quand même pris soin de tracer quelques lignes rouges ("Il y aura forcément des lois qui arriveront sur mon bureau que je ne signerai pas"). Il s’est aussi engagé à agir unilatéralement sur le dossier de l’immigration si rien n’était fait.

McConnell partage-t-il cette volonté d’apaisement ? Certaines de ses déclarations ("Ce n’est pas parce que nous avons un système bipartisan que ça doit être la guerre permanente") pourraient le laisser penser. Mais sa volonté d’abroger l’Obamacare – un casus belli pour les démocrates – et son opposition à l’augmentation du salaire minimum promise par Obama ne sont un secret pour personne.

En dépit de son succès retentissant, le GOP aurait tort de croire que la victoire à la présidentielle de 2016 lui est acquise d’avance. S’il a purgé ses rangs des éléments les plus extrémistes, certaines de ses têtes de gondole – Ted Cruz, le sénateur du Texas, par exemple – restent beaucoup trop clivantes. Il lui faudra aussi élargir sa base électorale en attirant (notamment) l’électorat latino. Pas évident, dès lors qu’il refuse de discuter de la régularisation des 11 millions de sans-papiers, en majorité latinos, que compte le pays. Comme le dit une commentatrice, ces midterm elections pourraient bien être pour les républicains "une épique victoire à la Pyrrhus".

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires