Dix ans après sa mort, les rameaux de Yasser Arafat sont fanés
En acceptant de renoncer à la violence et de reconnaître l’État hébreu, Abou Ammar avait fait naître des espoirs de paix. Dix ans après sa mort, ils se sont presque évanouis.
"Yasser Arafat était une icône au sens propre du terme, il n’était pas seulement préoccupé par la libération de son peuple mais par celle de tous les peuples opprimés dans le monde. Perdre un homme d’une telle vision est un coup dur pour tous ceux qui luttent contre l’oppression." C’est ainsi que Nelson Mandela, autre icône planétaire, disparu fin 2013, évoquait le héros palestinien à sa mort, il y a dix ans, le 11 novembre 2004.
Comme le leader sud-africain, Abou Ammar (son nom de guerre) avait refusé de renoncer à la violence, tout en privilégiant la négociation quand celle-ci est devenue possible. Une année après Nelson Mandela et Frederik De Klerk, le Palestinien recevait, en 1994, le prix Nobel de la Paix avec les dirigeants israéliens Yitzhak Rabin et Shimon Peres "pour leurs efforts en faveur de la paix au Moyen-Orient". Les accords d’Oslo venaient d’être conclus, ouvrant la voie à un traité de paix définitif et à la coexistence de deux États.
Les espoirs que le monde avait conçus ces jours lointains ont fait long feu. Vingt ans après Oslo et dix ans après la mort d’Arafat, certains parmi les plus ardents défenseurs de la cause palestinienne se résignent à ne jamais voir naître l’État tant souhaité, et les faucons de la "résistance palestinienne" comme de "l’existence d’Israël" ont cloué le bec aux colombes des deux camps. L’unité palestinienne, cimentée par la séduction, la ruse ou la coercition d’Arafat, n’est plus.
L’émergence du Hamas et la division des frères palestiniens
Privé de sa victoire lors des premières véritables législatives, le Hamas s’est emparé de la bande de Gaza en 2007 au prix d’un conflit fratricide, tandis que le Fatah, fondé par Arafat en 1959, continuait de contrôler l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie. Pluie d’été (2006), Plomb durci (2008-2009), Pilier de défense (2012), Bordure protectrice (2014) : les attaques massives de l’armée israélienne sur Gaza ont répondu aux tirs aveugles de roquettes du Hamas et, en 2013, les efforts aussi acharnés que vains du secrétaire d’État américain, John Kerry, pour relancer un dialogue plus pacifique n’ont fait que révéler l’état de putréfaction avancée du "processus de paix".
Évacuée par les colons israéliens en 2005, la bande de Gaza est depuis en état de siège, affamée et régulièrement bombardée, alors que chaque jour de nouveaux lotissements de colons fragmentent un peu plus la Cisjordanie. "Les implantations mettent en danger le processus de paix, et la nouvelle génération voit la solution à deux États s’éloigner, et comprend qu’elle ne peut échapper à une solution à un État", déclarait en avril le président de l’AP, Mahmoud Abbas.
Arafat a ouvert la porte à la reconnaissance de la cause palestinienne
Côté israélien, la droite, emmenée par Benyamin Netanyahou, contrôle depuis 2009 le gouvernement et se radicalise en s’alliant avec son extrême nationaliste. Dans son éditorial du 1er novembre, le journaliste pacifiste israélien Uri Avnery faisait ce navrant constat : "Toute parole prononcée par Benyamin Netanyahou en faveur de la paix et de la solution à deux États était un mensonge flagrant. C’est comme si un rabbin en chef recommandait de manger du porc le jour de Yom Kippour."
En 1989, à Paris, déclarant "caduque" la charte de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui prévoyait l’élimination d’Israël, Arafat s’était résolu à la coexistence des deux États que les accords d’Oslo étaient censés mettre rapidement en oeuvre. Le rêve en demi-teinte d’Arafat l’a-t-il suivi dans la tombe ? Deux décennies après Oslo, l’esplanade des Mosquées redevient un champ de bataille, des militants du Hamas sèment la mort dans les rues de Jérusalem, à qui l’État hébreu répond par toujours plus de répression.
Mais, paradoxalement, alors qu’elle semble moribonde sur son sol, la sympathie internationale pour la cause palestinienne n’a jamais été aussi vive. En novembre 2012, 138 pays ont voté pour l’admission de la Palestine à l’ONU comme État observateur et, le 13 octobre dernier, le Parlement britannique demandait à son gouvernement de reconnaître l’État palestinien, un pas franchi à la fin du mois par la Suède, qui devenait le premier État européen à le faire.
Et le 4 novembre, le Parti socialiste, au pouvoir en France, préparait une proposition de résolution à l’Assemblée invitant le gouvernement à aller dans ce sens. Les pressions internationales seront-elles décisives pour la Palestine comme elles l’avaient été pour mettre fin à l’apartheid ? Le Franco-Israélien Ofer Bronchtein a fait partie de l’équipe des négociateurs israéliens qui ont planché sur les accords d’Oslo. Pour lui, "c’est Arafat qui a ouvert la porte à la reconnaissance de la cause palestinienne et qui a permis à cette cause d’avoir l’écho qu’elle a aujourd’hui. C’est là une partie de son héritage qui ne sera jamais effacée".
Résister à l’instrumentalisation de la cause palestinienne
Libanais d’origine et Arabe de coeur, Khalil Chemayel a partagé la vie et le combat du raïs pendant trente ans. "Au moment où, après la défaite de 1967, les États arabes baissaient les bras, il a repris la lutte et montré à tous, lors de la bataille de Karameh, en 1968, contre les sionistes, que les Palestiniens restaient debout et continueraient de se battre." Cette même année, le Time présentait au monde le "chef fedayin Arafat" sur sa couverture de décembre, tel que l’Histoire a figé son image devenue symbole : treillis kaki, lunettes noires et coiffé de son éternel keffieh noir et blanc, dont les plis savants faisaient apparaître la carte de la Palestine. "Je suis un rebelle, la liberté est ma cause", clamait-il lors de son discours historique à la tribune de l’ONU, le 13 novembre 1974.
Qui d’autre que "le Vieux" aurait pu servir si habilement une telle cause face à l’ennemi surarmé, à la tête d’un mouvement de libération aux multiples directions, dans une région dominée par des chefs d’État avides de puissance ? "Nombreux étaient ceux qui, comme Hafez al-Assad et Saddam Hussein, voulaient instrumentaliser la cause palestinienne à des fins internes, se souvient Chemayel. Mais il disait : "Tant qu’on ne peut couper la main menaçante, il faut l’embrasser." L’OLP, le monde arabe et nos soutiens internationaux étaient loin d’être homogènes, mais ils réussissaient à créer des liens entre le Fatah et tous ces États et mouvements aux motivations différentes, voire contradictoires."
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"Grand tacticien, grand charmeur et très humain pour son peuple, c’était un homme politique hors pair, confirme Ofer Bronchtein, mais il a commis toutes les erreurs possibles pour ne pas devenir le chef de l’État palestinien, à l’image de Moïse qui s’était interdit l’entrée en Terre promise en brisant les tables de la loi." Pour l’ex-négociateur israélien, le plus grand égarement d’Arafat a été son soutien à Saddam Hussein pendant la guerre du Golfe de 1990, alors que la grande majorité des États arabes se joignaient à la coalition occidentale pour bouter l’Irakien hors du Koweït : "En plus de se décrédibiliser vis-à-vis de la communauté internationale, il a provoqué le départ forcé de près de 1 million de Palestiniens établis dans les États du Golfe, alors très hostiles à Hussein."
Il a commis toutes les erreurs possibles
Son compagnon Chemayel regrette, lui, son laxisme coupable face aux groupes qui tentaient de faire avancer la cause par la terreur : "Il y était officiellement opposé, mais Abou Iyad, le numéro deux de l’OLP, a financé des opérations qui ont monté l’opinion internationale contre nous alors que notre cause était la plus défendable du monde." "Je suis venu tenant d’une main un rameau d’olivier et de l’autre un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main", avait-il lancé à la tribune de l’ONU, le doigt pointé vers l’assemblée comme le canon d’un revolver.
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En 1993, lorsque Arafat serre la main de l’Israélien Yitzhak Rabin, le fusil du combattant semble définitivement rangé à l’armurerie. "Abou Ammar a amené les Palestiniens à accepter Oslo et nous avons cru avec nombre d’Israéliens à la possibilité des deux États. Un déculottage pour rien", se désole le Libanais. Bronchtein reconnaît de nombreuses lacunes dans les accords, la principale ayant été de prévoir une période de cinq ans pour parvenir au statut permanent de l’État palestinien, ce qui n’a toujours pas eu lieu. Mais, selon lui, le coup fatal porté au processus de paix a été l’assassinat par un extrémiste israélien d’Yitzhak Rabin, dont, hasard de l’Histoire, l’État hébreu a commémoré le dix-neuvième anniversaire de la mort le 4 novembre, une semaine avant que la Palestine se souvienne de son "Vieux". "Pour l’instant, conclut Bronchtein, on peut dire que l’assassin de Rabin a gagné son pari."
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