RDC – Ève Bazaiba : « Le Conseil national de suivi n’est pas une voie de garage »
À la tête du Front pour le respect de la Constitution et secrétaire générale du MLC, Ève Bazaiba n’a toujours pas apposé sa signature sur l’accord politique global et inclusif conclu le 31 décembre 2016 à Kinshasa. La dame de fer explique les raisons de sa réticence à Jeune Afrique.
Ève Bazaiba, 51 ans, fait de la résistance : pas question que le Mouvement pour la libération du Congo (MLC, parti de Jean-Pierre Bemba) et le Front pour le respect de la Constitution, qu’elle dirige, ne signent le compromis politique de la Saint-Sylvestre tant que ne sera pas assurée sa mise en oeuvre effective. En tout cas, c’est la position qu’elle défend depuis qu’elle a claqué la porte des négociations à la veille de la signature de l’accord.
Et pour l’instant, selon elle, tel n’est pas le cas. Celle qu’on présente comme la « dame de fer » de la scène politique congolaise déplore que le compromis politique trouvé le 31 décembre soit considéré comme un « accord bilatéral » entre le président Joseph Kabila et son meilleur ennemi Étienne Tshisekedi, l’opposant historique.
Ève Bazaiba s’insurge notamment contre l’attribution du poste du président du Conseil national de suivi de l’accord (CNSA) et de celui de Premier ministre au Rassemblement, principal regroupement de l’opposition congolaise. « Dans ces conditions, l’accord risque d’être fragile », explique celle qui voudrait diriger le CNSA, ou du moins y jouer un « rôle important ». Car « ce n’est pas une affaire de quota, mais de considération », poursuit-elle, soupçonnant la médiation conduite par les évêques catholiques d’avoir « privilégié les deux poids lourds : la Majorité présidentielle (MP) et le Rassemblement ».
Jeune Afrique : Considérez-vous toujours, comme la MP, que l’accord politique conclu le 31 décembre 2016 souffre d’un sérieux problème d’inclusivité ?
Ève Bazaiba : Oui, à la fin des travaux, l’accord n’a plus été inclusif. Mais lorsque nous discutions, le dialogue était bien inclusif. Autrement dit, toutes les parties prenantes ont participé à l’élaboration de ce compromis politique, mais c’est à son atterrissage que le bât blesse.
Concrètement, quelles sont aujourd’hui les principales raisons qui ont poussé le Front pour le respect de la Constitution à ne pas signer l’accord ?
Nous voudrions avant tout avoir des garanties de mise en oeuvre de toutes les échéances et convenances de ce compromis politique. C’est pourquoi nous continuons à demander que l’animation de l’institution chargée du contrôle (Conseil national de suivi de l’accord, ndlr) soit confiée à une personne qui ne soit pas directement impliquée dans la gestion de la chose publique.
Nous sommes pressés d’aller aux élections pour résoudre rapidement la problématique de l’illégitimité des institutions
Êtes-vous pessimiste quant à la mise en oeuvre de cet accord dont le suivi a été confié à l’opposant Étienne Tshisekedi ?
Nous sommes plutôt sceptiques. Les échéances électorales prévues dans la Constitution n’ont pas été tenues. Pourtant, le chef de l’État, qui a promulgué cette Loi fondamentale, s’était engagé à les faire respecter. Ce qui n’a pas été fait puisque la présidentielle n’a pas été organisée dans les délais constitutionnels. Comment un accord politique qui n’a même pas eu le seing de la personne qui constitue le problème sera-t-il appliqué ?
Pis, ceux qui vont gérer la chose publique vont se faire contrôler eux-mêmes en dirigeant le Conseil national de suivi de l’accord. On ne peut pas s’auto-contrôler ! Nous craignons que les mêmes causes produisent demain les mêmes effets. Nous admettons certes le statut de patriarche d’Étienne Tshisekedi pour ses années de lutte pour l’avènement de la démocratie en RDC, mais nous considérons aussi que le Conseil national de suivi n’est pas une voie de garage : s’il faut lui donner un poste, ce serait celui de Premier ministre. Mais l’organe chargé du suivi ne doit pas être animé par une personne qui est impliquée dans la gestion de la chose publique.
Nous ne sommes pas concernés par des arrangements particuliers pour partager le pouvoir
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de vouloir faire de la surenchère pour obtenir plus de postes importants dans le futur gouvernement ou une meilleure position au sein du Conseil national de suivi (CNSA) ?
Le Front pour le respect de la Constitution a été clair sur cette question : nous ne sommes pas concernés par des arrangements particuliers pour partager le pouvoir. C’est pourquoi, d’ailleurs, nous nous sommes fermement opposés au chamboulement des institutions de la République : nous avons dit non à la dissolution de l’Assemblée nationale, du Sénat et des assemblées provinciales en vue de procéder à la cooptation des membres.
Au contraire, nous sommes pressés d’aller aux élections pour résoudre rapidement la problématique de l’illégitimité des institutions actuelles et de leurs animateurs.
D’aucuns soupçonnent le Front pour le respect de la Constitution de vouloir faire capoter l’accord. Que leur répondez-vous ?
C’est absurde. Cet accord, c’est notre oeuvre. Nous cherchons simplement à avoir des gardes-fous nécessaires pour sa mise oeuvre sans faille, en tenant compte du chronogramme électoral qui en découlera.
La MP n’a pas le droit d’utiliser notre position comme alibi
Que vous inspire la stratégie de la MP consistant à s’accrocher littéralement à votre position pour émettre des réserves sur la mise en oeuvre de l’accord ?
Nous la dénonçons avec force. La majorité n’a pas le droit d’utiliser notre position comme alibi. La MP détient une grande responsabilité dans la mise en oeuvre de cet accord parce que c’est elle qui a mis le pays dans la situation actuelle de crise à cause de ses velléités à vouloir se maintenir au pouvoir en violation de la Constitution.
En l’état, peut-on considérer que vous rejetez finalement cet accord ?
Nous ne rejetons pas l’accord du 31 décembre. C’est le fruit même de notre travail.
Quand comptez-vous revenir sur votre décision de ne pas le signer ?
Cette décision n’est pas irrévocable, mais à condition que la Conférence nationale épiscopale du Congo (Cenco) daigne comprendre notre position. C’est elle qui assure la médiation de tout ce processus.
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