Comment South African Airways a précipité sa chute

Plombé par les choix hasardeux de ses dirigeants successifs, le transporteur sud-africain est au bord de la faillite. Il doit à tout prix renflouer ses caisses avant le 24 mars.

Les résultats financiers 2013-2014 de South African Airways sont si désastreux que la compagnie a renoncé à les publier… © Wikimedia Commons

Les résultats financiers 2013-2014 de South African Airways sont si désastreux que la compagnie a renoncé à les publier… © Wikimedia Commons

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 20 janvier 2015 Lecture : 5 minutes.

South African Airways (SAA) se met à la diète. Ses voyageurs en classe affaires vont devoir se passer de champagne : début janvier 2015, la compagnie sud-africaine l’a supprimé de son menu à bord, le remplaçant par un mousseux local moins onéreux. En déficit chronique depuis trois ans, le transporteur de la nation Arc-en-Ciel cherche à faire des économies partout : il lui faut trouver 1,7 milliard de rands (122 millions d’euros) avant le 24 mars 2015 pour renflouer ses caisses et pouvoir assurer ses vols jusqu’en septembre, faute de quoi il serait déclaré en faillite.

L’âge d’or semble révolu pour celle qui se classait pourtant jusqu’en 2010 première compagnie aérienne du continent, du point de vue du chiffre d’affaires aussi bien que de celui du nombre de passagers. Une fois passé l’effet Coupe du monde de football, organisée par le pays cette année-là, le transporteur a vu son trafic dégringoler progressivement.

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En déficit chronique depuis trois ans, le transporteur de la nation Arc-en-Ciel cherche à faire des économies partout.

En 2012, il n’accueillait plus que 6,8 millions de passagers, contre près de 8,6 millions pour EgyptAir. Désormais, il est talonné par Ethiopian Airlines et Kenya Airways, qui figuraient pourtant loin derrière lui deux à trois ans plus tôt. Les résultats financiers de l’exercice 2013-2014, clos fin mars dernier, sont tellement désastreux que SAA a préféré surseoir à leur publication.

En profondeur

Intégralement détenue par l’État sud-africain, la compagnie a été placée le 12 décembre sous l’administration directe du ministère des Finances, qui, contrairement aux années précédentes, a refusé d’y injecter de l’argent frais. Le ministre Nhlanhla Nene, nommé en mai, espère ainsi forcer la compagnie à se réformer en profondeur avant qu’il ne soit trop tard.

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Pour expliquer cette situation financière catastrophique, les analystes pointent la dépréciation du rand, qui a perdu 36 % de sa valeur face au dollar entre mars 2012 et la fin de l’année 2014. Mais la cause véritable des difficultés de l’ancien leader du ciel africain, « c’est l’instabilité managériale », estime Cheick Tidiane Camara, du cabinet Ectar, spécialisé dans le secteur aérien du continent. Ces trois dernières années, l’entreprise a connu trois PDG différents.

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Et un climat délétère règne au sein de son conseil d’administration, miné par les divisions internes. Derniers exemples en date de cette gouvernance en dents de scie : la suspension sine die du PDG Monwasibi Kalawe, remplacé pour le moment par Nico Bezuidenhout. « Les gouvernements successifs ont, depuis 1994, multiplié les nominations politiques de personnalités novices concernant les questions aériennes. Du coup, elles ont souvent pris des décisions hâtives et parfois contradictoires, empêchant le suivi d’une stratégie de long terme », regrette Cheick Tidiane Camara.

SAA avait tout pour réussir : un trafic domestique important que et une forte attractivité touristique.

Les lignes lancées sans discernement ces dernières années vers la Chine et l’Inde illustrent bien les errements des directions générales successives de SAA. Elles connaissent des pertes abyssales, à hauteur de 800 millions de rands par an pour la seule liaison Johannesburg-Pékin. Et le non-renouvellement de la flotte de 55 avions a entraîné une forte augmentation de ses coûts d’exploitation. Enfin, les choix d’attribution des contrats de sous-traitance et d’approvisionnement se sont révélés peu judicieux, entraînant l’augmentation automatique du coût des prestations, sans que celles-ci ne soient remises en question.

SAA avait pourtant tout pour réussir : un trafic domestique autrement plus important que celui de ses concurrents du continent et une forte attractivité touristique.

« Il aurait pu miser sur le marché africain, où il n’avait souvent pas droit de cité pendant l’apartheid, et y rattraper son retard », note Cheick Tidiane Camara. Mais pendant que SAA patinait, les autres grandes compagnies publiques du continent se sont montrées, elles, très actives, avec une expansion africaine ambitieuse, menée par des directions générales solides sur la durée. « C’est le cas de Kenya Airways, où Titus Naikuni est resté aux manettes de 2003 à 2014, mais aussi d’Ethiopian Airlines, où l’actuel PDG Tewolde Gebremariam, entré en 1985, est un pur produit maison. Et chacun de leurs États actionnaires a respecté leur indépendance », observe Cheick Tidiane Camara.

Trois groupes publics dans la tourmente

South African Airways n’est pas la seule entreprise publique à rencontrer de graves problèmes : l’électricien Eskom, fortement endetté, peine à terminer l’extension de ses deux grandes centrales de Medupi et de Kusile. Elles devaient apporter une capacité de 4800 mégawatts chacune au réseau sud-africain, mais accusent trois ans de retard. Une situation qui entraîne de nombreuses coupures électriques dans le pays et inquiète beaucoup les industriels et les investisseurs.

Quant à la poste sud-africaine (Sapo), elle fait face à des grèves à répétition, qui ont fait fondre ses bénéfices et handicapé les entreprises qui en dépendent. Afin de remettre en selle ces trois groupes publics cruciaux, le président Jacob Zuma a chargé dès le 11 décembre l’exsyndicaliste et militant de l’ANC Cyril Ramaphosa, très actif dans les affaires, de passer en revue leur stratégie.

C. L. B.

Pour faire redécoller le transporteur sud-africain, Nico Bezuidenhout a annoncé le 11 décembre un premier plan qui doit permettre en quatre-vingt-dix jours une diminution des coûts de 1,3 milliard de rands par an, notamment grâce à la renégociation de tous les contrats fournisseurs arrivés à échéance.

Le directeur général par intérim a aussi évoqué un accord commercial avec Air China. Une mise en commun de lignes entre l’Afrique du Sud et l’empire du Milieu qui devrait permettre à SAA d’économiser 300 millions de rands par an.

Le management étudie également des cessions d’actifs, notamment de sa filiale de restauration à bord, Air Chefs. Déjà bien implantée sur le continent, Servair, la filiale de catering d’Air France, n’a pas été approchée mais pourrait être intéressée.

Une fois ces mesures effectives, SAA pourrait chercher un repreneur… tel que l’émirati Etihad. Le 22 décembre, le transporteur sud-africain et la compagnie d’Abu Dhabi ont renforcé leurs partenariats, avec le lancement d’une nouvelle ligne quotidienne entre Johannesburg et l’émirat, l’extension de leurs partages de code (de dessertes) sur 49 destinations et le regroupement de leurs programmes de fidélité.

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Privatisation

Etihad entre souvent au capital de ses partenaires, comme il l’a fait en 2012 avec Air Seychelles. Et pour Cheick Tidiane Camara, la privatisation est justement la seule issue possible pour SAA : « Il n’y a pas de raison qu’il ne soit pas rentable alors que les transporteurs locaux comme Kulula [filiale low cost du sud-africain Comair] le sont. Si la société est privatisée, et si les liens incestueux avec l’État sont rompus, elle peut reprendre sa place de leader. » Reste que les investisseurs ne se bousculeront pas au portillon tant que la situation financière ne sera pas meilleure. « Le risque, c’est d’être obligé de vendre dans l’urgence, à prix cassé », estime le spécialiste. Selon lui, une éventuelle entrée au capital d’un partenaire financier n’interviendrait pas avant la fin mars.

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