Séduits par l’amnistie, les évadés fiscaux marocains rentrent au bercail

En se montrant clément, l’État espérait rapatrier une partie du patrimoine détenu illégalement par ses citoyens à l’étranger. Le nombre de déclarants a dépassé toutes ses espérances.

Près de 19 000 particuliers et entreprises ont joué le jeu. © Glez

Près de 19 000 particuliers et entreprises ont joué le jeu. © Glez

Publié le 21 janvier 2015 Lecture : 4 minutes.

La grande opération d’amnistie fiscale, lancée par le gouvernement marocain en 2014 afin de régulariser la situation de Marocains détenant illégalement des biens et des avoirs à l’étranger, a rencontré un succès phénoménal. Près de 19 000 particuliers et entreprises ont joué le jeu et déclaré pas moins de 27,8 milliards de dirhams (2,5 milliards d’euros) de patrimoine. De l’argent liquide pour un tiers et des actifs immobiliers et financiers pour les deux autres tiers.

Même le ministère de l’Économie et des Finances, à l’origine de cette mesure, n’en espérait pas tant et tablait sur à peine 5 milliards de dirhams. « C’est un montant inespéré, une réussite extraordinaire », lance, pas peu fier, le ministre Mohamed Boussaïd. Il faut dire que jusqu’en septembre 2014 le compteur affichait tout juste 2 milliards de dirhams. Mais depuis, les choses se sont accélérées, comme par magie.

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« Les gens ont attendu le dernier moment pour régulariser leur situation. Ils ont pris neuf mois pour tâter le terrain, s’informer, prendre conseil auprès de leurs banquiers, avant de passer à l’acte », explique l’argentier du royaume. Pour lui, cet afflux massif signifie que les Marocains ont confiance dans leur économie et dans l’avenir du pays : « Au-delà des chiffres et de l’argent récolté par l’État sous forme de taxes libératoires, le principal gain pour le Maroc, c’est ce capital confiance qui est consolidé. Cela n’a pas de prix. »

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Cette vaste opération orchestrée par les services du ministère des Finances, en étroite collaboration avec les banques marocaines, est désormais citée en exemple dans la région. « L’amnistie fiscale n’est pas une invention marocaine. D’autres pays l’ont expérimentée avant, mais sans réel succès », précise un banquier. C’est le cas de la Tunisie. En 2007, le pays – alors dirigé par Ben Ali – avait lancé une opération semblable avec un bilan décevant : à peine 80 déclarations, qui ont permis à l’État de récolter 12 millions d’euros. Idem en Belgique, qui a ouvert une fenêtre sur trois ans, entre 2006 et 2009, pour tout juste 145 millions d’euros collectés.

Confidentialité

Le succès de cette initiative marocaine s’explique par plusieurs facteurs. D’abord la confidentialité autour des déclarations et le rapatriement des avoirs. « Nous avons garanti l’anonymat total. Je ne connais pas moi-même l’identité des déclarants. C’est la clé de la réussite de cette opération », explique Mohamed Boussaïd. Gérée de bout en bout par les banques, qui ont créé des services et des systèmes d’information dédiés, celle-ci a en effet été menée dans la plus grande discrétion. Seuls quelques banquiers triés sur le volet connaissent aujourd’hui l’identité des « contrevenants », comme les nomme l’administration marocaine.

« Les banques ont accompli un travail extraordinaire, surtout durant les trois derniers mois, l’afflux a été massif. Sans elles, cela n’aurait pas pu réussir », précise le ministre des Finances, qui rappelle que les établissements bancaires n’ont tiré aucun bénéfice financier de cette opération. Mohamed El Kettani, PDG d’Attijariwafa Bank, le confirme : « Le secteur bancaire a décidé dès le départ d’effectuer la totalité des opérations à titre gracieux. C’était notre manière de contribuer à ce retour de la confiance. »

La collaboration des banques internationales a été capitale pour mener à bien cette opération.

Dans le cadre de cette amnistie, le choix qui s’offrait aux Marocains n’avait rien de cornélien. Ceux qui acceptaient de régulariser leur situation ne devaient s’acquitter que d’une contribution libératoire fixée entre 2 % et 10 % du patrimoine déclaré, alors que les autres risquaient une amende beaucoup plus lourde. Celle-ci peut en effet atteindre six fois la valeur des biens et des avoirs détenus à l’étranger, et peut s’accompagner de peines d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans.

Solidarité

Un autre aspect, moins individualiste, en a peut-être aussi incité certains à sauter le pas. En effet, l’argent ainsi collecté par le Trésor public ne servira ni à boucler les fins de mois difficiles de l’État, ni à financer le train de vie fastueux de certaines administrations, mais à alimenter le fonds de cohésion sociale, dit aussi fonds de solidarité (un mécanisme par lequel l’État fournit des aides directes aux couches les plus vulnérables de la société).

« Nous avons récolté quelque 2,3 milliards de dirhams d’impôts suite à cette amnistie. Ils seront injectés dans le fonds de solidarité pour financer des programmes comme Tayssir [soutien aux familles pauvres pour la scolarisation de leurs enfants] et le Ramed [assurance maladie pour les plus démunis]. Cet aspect social de l’offre a également joué », précise Mohamed Boussaïd.

Pour ces milliers d’évadés fiscaux, l’amnistie représentait une occasion en or de rentrer dans la légalité, à moindre coût. Et… de servir une bonne cause.

Bref, pour ces milliers d’évadés fiscaux, l’amnistie représentait une occasion en or de rentrer dans la légalité et d’avoir enfin l’esprit tranquille, à moindre coût. Et, au passage, de servir une bonne cause. Une combinaison séduisante, mais qui n’explique pas tout.

En septembre dernier, de nombreux Marocains détenant des avoirs à l’extérieur du royaume ont reçu des courriers de leurs banques étrangères les incitant à régulariser leur situation vis-à-vis des autorités marocaines, sous peine de fermeture de leurs comptes à partir du premier trimestre 2015. Un élément qui a été décisif.

« La collaboration des banques internationales a été capitale pour mener à bien cette opération. Il faut dire aussi que le contexte international a été favorable. Les gens ont voulu anticiper ce qui est en train de se produire à l’échelle mondiale, à savoir l’échange automatique d’informations, qui va devenir la règle à partir de 2017 », explique une source à l’Office des changes, administration qui a géré le volet technique de l’opération.

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