Exclu – Bavure au Mali : la responsabilité de l’armée française dans la mort d’un enfant se confirme

Il est toujours hors de question, pour l’armée française, de passer aux aveux publiquement. Les faits ont pourtant été reconnus, dans le secret d’une réunion tenue à huis-clos par des militaires de l’opération Barkhane : le 30 novembre, au cours d’une patrouille menée dans l’extrême-nord du Mali, des soldats français ont tué un enfant, puis l’ont enterré en catimini.

Un soldat français guide des hélicoptères à proximité de Tombouctou, dans le nord du Mali, le 28 janvier 2013. © Arnaud Roine/AP/SIPA

Un soldat français guide des hélicoptères à proximité de Tombouctou, dans le nord du Mali, le 28 janvier 2013. © Arnaud Roine/AP/SIPA

Publié le 13 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.

Cette réunion, organisée à Bamako avec la Minusma et dont Jeune Afrique a pu lire le compte-rendu retranscrit sur PV, s’est tenue fin décembre. C’est un officier français qui a admis les faits.

Interrogé par la mission onusienne, qui avait envoyé des enquêteurs sur place et avait rapidement conclu à la responsabilité de l’armée française, un général de la force Barkhane a expliqué lors de cette réunion que des soldats français avaient tiré sur un individu considéré comme étant un élément d’un groupe terroriste, puis l’avaient enterré sommairement.

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Il a précisé que cette inhumation avait été menée dans le respect des procédures internes, ce qui laisse à penser que ce genre de pratique est courant. En fait d’un combattant, il s’agissait d’un enfant âgé, selon sa famille, de 10 ans.

Deux hélicoptères au-dessus de Tigabatene

Le 30 novembre, dans les environs de Tigabatene, une localité située à une soixantaine de kilomètres de Tessalit, Issouf Ag Mohamed avait été chargé par ses parents de rassembler les ânes pour aller chercher de l’eau.

Le même jour, des nomades, dont des proches du garçon, voient deux hélicoptères de l’armée française passer au-dessus de leur campement, avant d’entendre des tirs au loin. Puis le calme revient. Quelques heures plus tard, un hélicoptère les survole à nouveau. Ils le voient se poser sur les lieux du raid mené dans la matinée et observent des soldats en descendre et s’affairer quelques minutes durant, sans voir précisément ce qu’ils font, avant de repartir.

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Le lendemain, informés de la disparition d’un enfant, les habitants de la zone se rendent sur place. Ils y découvrent des fragments d’os et de chair, de nombreux impacts de balles et une tombe dans laquelle un corps, celui d’Issouf, a été enterré à la va-vite.

Une vidéo a été tournée par un parent de la victime deux jours après le drame. Elle montre la tombe, des traces de pas, des trous plus ou moins gros, certainement creusés par l’impact des balles. L’homme qui filme commente en tamasheq : « Un enfant de 10 ans est mort. Il a été tué par un hélicoptère de Barkhane le 30 novembre. Pour quelle raison cela est-il arrivé ? Peut-on nous expliquer ce qui justifie ce meurtre dans la loi ? Barkhane a tué l’enfant et nous a caché son acte. »

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Pourquoi ont-ils tiré sur lui alors qu’il était à découvert ? Pourquoi n’ont-ils prévenu personne dans les campements alentour ? s’interrogeait alors la famille. Et pourquoi être revenu sur les lieux quelques heures après les tirs ? Pour l’enterrer ? Pour détruire des indices ?

Le ministère de la Défense muet

Selon des sources jointes dans le septentrion malien, les parents d’Issouf n’ont pour l’heure obtenu aucune réponse à ces questions. « Ils n’ont reçu la visite de personne », assure un humanitaire basé à Tessalit, qui fut le premier à recueillir leur témoignage.

Sollicité à plusieurs reprises, le ministère français de la Défense se mure dans le silence. On ne sait donc pas, pour l’heure, dans quelles circonstances l’enfant a été tué, et pour quelles raisons sa dépouille a été enterrée.

En décembre, lorsque l’histoire avait circulé sur les réseaux sociaux, les services de Jean-Yves Le Drian étaient dans un premier temps restés muets. Après la publication d’un premier article dans Jeune Afrique évoquant une éventuelle « bavure », ils avaient publié un communiqué pour le moins sibyllin, dans lequel il n’était question ni de l’âge de la victime, ni du fait qu’elle avait été enterrée, mais qui laissait deviner qu’elle n’était pas armée.

« Le 30 novembre 2016 dans la région d’Aguelhok, y était-il indiqué, les armées françaises en opération ont neutralisé un membre d’un groupe armé terroriste chargé de localiser les éléments des forces françaises au profit de poseurs d’engins explosifs improvisés. Les circonstances précises de cette action sont en cours de vérification. Une enquête de commandement a été ordonnée à cette fin ».

Le ministère n’a pas souhaité communiquer les résultats de cette enquête.

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