Tunisie : cap sur l’Afrique subsaharienne
Consciente du potentiel économique du continent africain, la Tunisie s’active depuis quelques années au sud du Sahara, renouant avec ses vieux partenaires et lorgnant de nouvelles parts d’un marché en pleine croissance.
Mais face à d’autres puissances économiques montantes en Afrique, telles que le Maroc, la Turquie, la Chine, le Japon ou encore les pays du Golfe, le pays devra mettre les bouchées doubles. Et cela commence par l’annonce d’une première tournée subsaharienne pour le chef du gouvernement tunisien, Youssef Chahed.
Les relations tuniso-africaines ne datent pourtant pas d’hier, mais l’intérêt de la Tunisie s’était progressivement dissipé sous le régime de Ben Ali, avant de se raviver lentement à compter de 2011. Trop lentement ?
Multiplication des missions de prospection
Accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires et d’acteurs économiques tunisiens, Youssef Chahed devait entamer une tournée subsaharienne de trois jours, le 24 janvier, au Soudan, au Niger et au Burkina Faso, où il aurait participé à plusieurs forums économiques et de partenariat, selon le Tunisia-Africa Business Council (TABC) à l’initiative du voyage. Le centre de promotion des exportations (CEPEX), qui collabore également à l’organisation de cette mini-tournée, a néanmoins annoncé le 20 janvier le report de celle-ci à « une date ultérieure », sans en préciser les raisons. Contacté par Jeune Afrique, le service presse du gouvernement tunisien n’avait « pour l’instant » aucun commentaire à faire.
La tournée à venir s’inscrit dans un contexte plus large d’intérêt renouvelé des opérateurs économiques tunisiens pour le continent. D’autres missions de prospection des marchés africains ont en effet déjà eu lieu ces derniers mois. Ce fut le cas notamment au Mali en janvier 2016, au Cameroun en avril, au Burkina Faso en octobre, et une autre est prévue en Guinée pour début février 2017. Objectif : multiplier et promouvoir les opportunités d’affaires dans les différents pays africains, ainsi que les relations entre les investisseurs tunisiens et leurs homologues africains.
Des exportations encore trop faibles
Le volume des exportations tunisiennes vers l’Afrique est estimé à 800 millions de dinars (326 000 euros), soit 3 à 4% du total des exportations, a indiqué le 26 avril 2016 Mounir Mouakhar, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Tunis. Un taux qu’il a considéré comme « faible, voire insignifiant par rapport aux potentialités et opportunités offertes. »
Le gouvernement de Youssef Chahed entend faire de cette offensive économique et commerciale en Afrique une priorité
Et histoire de diversifier et enrichir d’avantage ses partenariats, après le succès de la conférence internationale « Tunisia 2020 » sur l’investissement, le gouvernement de Youssef Chahed entend faire de cette offensive économique et commerciale en Afrique une priorité. Une démarche qu’avaient déjà eu l’ex-président Moncef Marzouki et l’ex-chef du gouvernement Habib Essid avant lui, et sur laquelle travaillent les patronats et opérateurs économiques (Utica, CONECT, IACE…) depuis un certain temps.
La Tunisie devrait « jouer son rôle en tant que trait d’union stratégique entre le Nord et le Sud, en contribuant à établir un partenariat renouvelable, équitable et fructueux avec l’Afrique et l’Europe », avait ainsi déclaré en juin 2014 Wided Bouchamaoui, présidente de l’Utica. Mais aujourd’hui, si 10% des 6 000 entreprises exportatrices tunisiennes écoulent leurs produits au sud du Sahara, elles ne sont à ce jour que quelques dizaines à y compter des filiales.
Nouvel eldorado des entrepreneurs tunisiens ?
Mais de plus en plus d’entrepreneurs tunisiens dans différents domaines (notamment la santé, le BTP, l’ingénierie) se laissent séduire par les opportunités d’affaires en Afrique subsaharienne. D’après un sondage effectué en juin 2016 par le cabinet d’audit et de conseil Ernst & Young auprès de plus de 120 dirigeants tunisiens, 20% des 88 entreprises tunisiennes sondées (employant 136 000 salariés) sont déjà présentes au Sud du Sahara -soit presque autant qu’en Europe (26%) – et 26% envisagent sérieusement de s’y implanter. Des départs expliqués en partie par une mauvaise conjoncture en Tunisie, mais aussi par l’attractivité économique et démographique d’autres pays africains, notamment francophones. Les expériences positives d’entreprises tunisiennes installées en Afrique motivent également cet engouement croissant des hommes d’affaires.
Pour accompagner les entreprises intéressées et soutenir financièrement leur expansion en Afrique, un nouveau fonds d’investissement a vu le jour en octobre 2016 en Tunisie : « Africamen », lancé et géré par Poulina Group Holding, la banque privée Amen Bank, la Caisse des dépôts et consignations et la Compagnie tunisienne d’assurance et de réassurance (STAR).
«Nous avons tardé à nous implanter [sur le continent africain] et la stratégie que nous avons adoptée pour le faire est basée sur quatre axes : une diplomatie plus active avec l’augmentation du nombre de représentations diplomatiques, la proximité avec le renforcement des dessertes aériennes et maritimes, une bienveillance accueillante vis-à-vis des Africains séjournant parmi nous pour études, santé, tourisme, affaires ou autres, et enfin, une présence financière forte grâce à ce mécanisme, en attendant l’implantation de succursales de banques tunisiennes sur le continent», avait annoncé à cette occasion le président du directoire d’Amen Bank, Ahmed El-Karam, en conférence de presse.
Efforts diplomatiques et aériens
En 2017, la Tunisie comptera 10 ambassades tunisiennes en Afrique avec « l’ouverture prévue de deux nouvelles ambassades au Kenya et au Burkina Faso, outre l’ouverture de cinq bureaux commerciaux dans des pays d’Afrique subsaharienne », a fait savoir fin novembre Khemaies Jhinaoui, ministre tunisien des Affaires étrangères, lors d’une rencontre organisée à l’Utica. D’autres problématiques avaient également été soulevées dans le but d’« asseoir une diplomatie économique digne de ce nom » sur le continent africain, parmi lesquelles la facilitation des procédures d’obtention des visas pour les ressortissants de pays africains dans lesquels il n’existe pas d’ambassade tunisienne.
Une offensive qui se fait aussi par les airs. Accompagnant ce nouvel élan d’échanges intra-africains, Tunisair prévoit le lancement en avril 2017 de deux nouveaux vols à destination de la Guinée, portant à sept le nombre de pays subsahariens desservis par la compagnie aérienne (avec déjà 5 vols hebdomadaires en Côte d’Ivoire, quatre au Mali et au Sénégal, trois au Burkina Faso et deux au Niger et en Mauritanie). Le Cameroun et le Tchad feraient également partie des projets d’expansion. En comparaison, les vols de Royal Air Maroc desservent une trentaine de destinations africaines.
Mais il existe un frein de taille à la promotion des affaires : toujours aucune banque tunisienne ne compte d’implantation en Afrique subsaharienne.
Légèrement en retrait pendant plusieurs année, la Tunisie va devoir s’activer pour espérer s’imposer sur le continent. Et muer rapidement les discours en actions concrètes. Car l’Afrique, prometteuse, attise de plus en plus de convoitises.
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