Francophonie : Michaëlle Jean à la tête de l’OIF, les heureux et les frustrés
En l’absence de consensus africain, c’est donc Michaëlle Jean, ancienne gouverneure du Canada, qui a été désignée pour prendre la succession d’Abdou Diouf au secrétariat général de la Francophonie. Mais la nomination d’une femme non africaine ne fait pas que des heureux. Réactions recueillies à chaud auprès, notamment, des candidats africains déçus.
"Femmes et jeunes en Francophonie : vecteurs de paix, acteurs de développement." À l’occasion de son XVe sommet, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) s’est montrée fidèle à son slogan. Pour la première fois de son histoire, elle a en effet nommé une femme, qui plus est non estampillée "africaine" – ce qui est contraire à une règle non écrite -, au poste de secrétaire générale. Et l’heureuse élue, malgré ses 57 ans, était la plus jeune des cinq candidats en lice. Pour l’un de ses conseillers, 100% africain, lui, "Michaëlle Jean incarne la Francophonie du XXIe siècle".
Si Michaëlle Jean est canadienne, son île natale n’a pas oublié qu’elle est aussi "une fille d’Haïti". "Michaëlle Jean a fait campagne dans plusieurs pays africains et elle s’y sent très à l’aise car l’âme africaine est restée ancrée chez chaque Haïtien, déclare à Jeune Afrique Pierre Duly Brutus, le ministre haïtien des Affaires étrangères. Haïti est aussi l’un des pays qui ont lutté, aux Amériques et à travers le monde, pour l’usage de la langue française dans les instances internationales, notamment à l’Organisation des États américains."
Mais si Michaëlle Jean a "l’âme africaine", une poignée d’Africains, eux, ont du vague-à-l’âme lorsqu’ils pensent à elle, malgré leur respect revendiqué pour sa personne.
Henri Lopes, candidat malheureux pour la seconde fois, l’admet sans faux semblant : "Je félicite Mme Michaëlle Jean… [silence] J’ai le cafard… Dans ces moments-là, il vaut mieux se taire. Je crois que j’ai mal lu la géopolitique africaine."
Pour Jean-Claude de l’Estrac, la pilule a tout autant de mal à passer : "Au delà du candidat, c’est une indiscutable défaite africaine. Au Sénégal, pays de Senghor, l’Afrique laisse échapper la seule organisation internationale d’importance qu’elle contrôlait."
Dans ce désert d’amertume, la réaction du candidat équato-guinéen, Augustin Nzé Nfumu, fait figure d’oasis : "Nous sommes heureux qu’il y ait pu avoir un consensus, c’est pour cela que nous avons retiré notre candidature. De toute façon, du sang africain coule dans les veines de la nouvelle secrétaire générale."
La France aurait-elle lâché l’Afrique ?
De Port-Louis à Brazzaville, si la défaite est amère, ce n’est pas du fait de Michaëlle Jean. Mais plutôt parce que la France, figure tutélaire de l’OIF, est soupçonnée d’avoir trahi le pacte non écrit qui faisait de la fonction de secrétaire général de la Francophonie une chasse gardée subsaharienne.
"Je trouve surprenant que la France ait laissé ce poste échapper à l’Afrique, s’étonne ainsi Jean-Claude de l’Estrac. Et je ne suis pas sûr que cela soit dans son intérêt."
Pour le ministre congolais des Affaires étrangères, Basile Ikouebé, "Michaëlle Jean est une bonne candidate, qui a les compétences requises. Mais nous déplorons qu’aujourd’hui, on s’oriente vers une Francophonie politique où l’on vient donner des leçons aux Africains sur leur sol, tout en menaçant les États qui ne respecteraient pas les règles constitutionnelles qu’ils feront face à des insurrections soutenues de l’extérieur."
Une allusion à peine voilée au discours du président François Hollande, qui, parmi certaines délégations africaines, a provoqué plus de défiance que l’élection de Michaëlle Jean.
>> Lire aussi : Désignation du secrétaire général, le sommet de la cacophonie
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Mehdi Ba et Pierre Boisselet, à Dakar
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