Cameroun : un rapport d’expertise conclut à une « responsabilité totale et entière » de Camrail dans la catastrophe ferroviaire d’Eseka

Qui est responsable du déraillement du train intercités reliant Yaoundé à Douala le 21 octobre 2016 ? S’il est encore trop tôt pour répondre, Jeune Afrique a pu consulter un des quatre rapports d’experts commandés par la justice camerounaise et remis aux enquêteurs. Bien qu’il ne s’agisse que de l’un des éléments du dossier, il n’en reste pas moins édifiant.

Des victimes après la catastrophe ferroviaire d’Eseka, le 21 octobre 2016. © AP/SIPA

Des victimes après la catastrophe ferroviaire d’Eseka, le 21 octobre 2016. © AP/SIPA

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Publié le 25 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.

Alors que les enquêtes sont encore en cours et que plusieurs plaintes ont été déposées, notamment en France et en Italie, impossible pour le moment de tirer des conclusions définitives quant aux responsabilités dans la catastrophe ferroviaire d’Eseka. Mais Jeune Afrique a mis la main sur un document qui pourrait faire la différence.

Il s’agit d’un des quatre rapports d’expert commandés par le Procureur général près la Cour d’appel du Centre, chargé de l’enquête menée conjointement par la police et la gendarmerie camerounaises pour le compte du tribunal d’Eseka.

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Dans ce document d’une vingtaine de pages, étayé par les données provenant de la boîte noire du convoi ayant déraillé le 21 octobre 2016 à Eseka, un expert ferroviaire a analysé les débris des voitures, les témoignages des acteurs et le déroulement des faits. Et ses conclusions sont édifiantes, en particulier à l’encontre de la société ferroviaire Camrail, qui connaissait selon lui l’existence de graves dysfonctionnements dans 13 des 17 voitures formant le convoi (dont les huit ajoutées pour pallier l’afflux de voyageurs sur le trajet du 21 octobre 2016).

Absence de freinage et vitesse excessive

« Selon les informations recueillies, le défaut de freinage de ces voitures (dont 12 de série 1300 CSR et de fabrication chinoise, NDLR) serait connu de tous les opérateurs à Camrail », écrit ainsi le spécialiste, dont la société a réclamé la récusation au motif qu’il était un de ses anciens employés. Il ajoute même que plusieurs incidents se sont déjà produits par le passé à cause de ces mêmes anomalies, en mai et en juillet 2014 notamment, lorsque plusieurs conducteurs avaient perdu le contrôle de leur convoi.

Au-delà du problème de freinage, l’expert ajoute également que trois autres causes ont contribué au drame : la surcharge du convoi « en violation des capacités prescrites » (ce que conteste Camrail) et l’ajout de voitures « ayant parcouru plus de 600 kilomètres sans vérification fiable de leur état », la « mise hors-service par les services d’entretien du système de frein rhéostatique de la locomotive » (qui aurait pu permettre de ralentir le moteur électriquement, NDLR), et la « non-prise en compte par la direction technique des réserves émises par les conducteurs ». Il ajoute: « Dans de telles conditions, la catastrophe était inévitable ».

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Un seul wagon voyageurs indemne

Parti à 11h15 de Yaoundé, au lieu de 10h25 comme prévu initialement, avec 17 voitures au lieu de neuf (dont 13 pour lesquelles le freinage était défaillant), le convoi de 675 tonnes va se désintégrer à 12h45 environ. Il circule alors, à une dizaine de kilomètres de la gare d’Eseka, sur une pente descendante présentant un dénivelé de 1,6 centimètre par mètre.

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Sous les effets du manque de freinage, de la supposée surcharge et de sa vitesse excessive (96 kilomètres par heure pour une portion limitée à 40 kilomètres par heure en raison du mauvais état de la voie), les quatre dernières voitures (917, 922, 926 et 913, de type SOULE et de fabrication française) se décrochent et chutent violemment au bas d’un haut talus, alors que le reste du train poursuit sa route.

Il ne le fera pas longtemps. Quelques centaines de mètres plus loin, une deuxième courbe s’amorce et la voie est affaissée : le reste de la rame (11 voitures de série 1300 CSR, de fabrication chinoise) déraille et se renverse à son tour, sous l’effet de la force centrifuge et de sa vitesse toujours excessive (80 kilomètres par heure). Seuls la locomotive, le fourgon générateur 731 et la première voiture voyageurs 1321, de première classe, poursuivent leur chemin, indemnes. Il ne s’arrêteront que quelque quatre kilomètres après la gare d’Eseka.

« Responsabilité totale et entière » de Camrail

Pour l’expert, la cause du déraillement est donc, « techniquement », la survitesse du train. « Mais en réalité, celle-ci n’est que la conséquence des défaillances techniques connues de longue date, des erreurs graves et des décisions inconséquentes qui ont été prises lors de la formation du train et de son départ de la gare de Yaoundé, alors que son système de freinage était gravement défaillant », explique-t-il.

En conséquence, estime l’expert, Camrail porte la « responsabilité totale et entière » de la catastrophe. Le rapport précise même que la chaîne des responsabilités s’étalerait sur quatre niveaux, dont le premier, le plus important, serait occupé par le Français Didier Vandenbon, directeur général de Camrail, ayant selon lui « ordonné » la formation du convoi.

Officiellement, 79 personnes auraient péri dans l’ « Accident », comme le désigne aujourd’hui la société ferroviaire dans ses documents officiels. Mais le bilan serait en réalité bien plus lourd, de l’ordre de plusieurs centaines de disparus. De nombreuses familles sont en effet toujours à la recherche de proches ayant pris place à bord du train le jour du drame.

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