Centrafrique : à la rencontre des acteurs de la réconciliation entre chrétiens et musulmans à Bangui
En décembre 2013, à Bangui, des miliciens de la Séléka à dominante musulmane et des anti-balaka majoritairement chrétiens se lancent dans une spirale de violences qui débouche sur la mort d’un millier de personnes, selon l’ONU. Trois ans après, cinq Centrafricains, chrétiens et musulmans, ont mis en place des actions pour « faciliter » le retour de la paix et de la cohésion entre les deux communautés. Rencontre avec ces combattants de la paix.
Christian Aimé Ndotah, ancien directeur de la radio nationale et chargé de communication à la mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca)
Vêtu d’une chemise aux couleurs du drapeau centrafricain, Christian Aimé Ndotah, la cinquantaine bienveillante, salue affectueusement des musulmans à la sortie de la prière du vendredi, devant la mosquée du quartier de Lakouanga à Bangui. « Il y a deux ans, cette mosquée avait été complètement détruite et pillée par des miliciens anti-balaka », se souvient-il. « Aujourd’hui, les musulmans qui avaient fui pour échapper aux lynchages sont revenus dans leur quartier et sont libres de prier. C’est un bon début de réconciliation », explique-t-il, en regardant le lieu de culte dont il a initié la reconstruction dès 2015.
En 2014, presque toutes les mosquées de Bangui avaient été détruites et les musulmans chassés de chez eux. Le quartier de Lakouanga était resté le dernier périmètre dans lequel ils avaient pu trouver refuge. Christian Aimé Ndotah avait alors commencé à sensibiliser les habitants sur « l’importance de préserver le vivre-ensemble ».
Tout a commencé aux abords du quartier musulman du PK-5, proche de Lakouanga, où existait une zone de non-droit. « C’était un ‘no man’s land’ mais nous avons donné l’occasion aux chrétiens et aux musulmans de s’y retrouver afin qu’ils prennent conscience de ce qu’est la paix, la réconciliation », dit-il.
Construire la paix, c’est reconstruire le pays
Rencontres de football, campagnes de sensibilisation, activités culturelles… Tout ce qu’il entreprend tourne autour d’un message clair : favoriser « la paix et la réconciliation ». « Je ne sais pas pour quelles raisons chrétiens et musulmans devraient s’entretuer », aime répéter ce père de cinq enfants lors des ses activités, qu’il continue d’organiser aujourd’hui à Lakouanga ou au PK5 avec l’aide de deux de ses enfants, Theresa et Paola.
« C’est un message qu’on envoie aux gens qu’on rencontre, chrétiens ou musulmans. Nous, adultes, avons détruit ce pays. Il faut maintenant associer nos enfants aux actions de réconciliation pour que cela ne se reproduise pas », explique-t-il.
Et ça marche. Depuis décembre 2013, Lakouanga est devenu un exemple de coexistence entre chrétiens et musulmans à Bangui. « Le gouvernement est très silencieux face à ce que nous organisons. Mais on ne le fait pas pour que ce soit apprécié d’en haut. On le fait pour que des gens qui s’entretuaient prennent conscience de ce qui s’est passé », affirme-t-il. Pour Christian Aimé Ndotah, « construire la paix, c’est reconstruire le pays ».
Nicole Nangbei, agent de santé communautaire
Dans une petite salle peu éclairée, Nicole Nangbei supervise le rangement de produits pharmaceutiques. Cette femme de 50 ans, veuve et mère de six enfants, est aujourd’hui responsable d’un centre de santé communautaire qu’elle a construit avec les moyens du bord, en recyclant même des lits et des affaires ayant échappé aux pillages et aux incendies. « On a tous été blessés, meurtris, touchés par cette crise. Mais il est temps de tout oublier et de se réconcilier pour reconstruire le pays », dit-elle.
Avant la crise, cette chrétienne catholique était présidente d’une association s’occupant d’orphelins et de femmes en difficultés, notamment des jeunes mères, auxquelles elle faisait pratiquer la couture et l’élevage de volailles pour survivre. Mais le 5 décembre 2013, le quartier Boeing qu’elle habite et qui est réputé être la base arrière de miliciens anti-balaka des quartiers sud de Bangui, est attaqué par des miliciens de la Séléka à dominante musulmane. Elle se réfugie alors avec sa famille au camp des déplacés de l’aéroport, « dans des conditions déplorables. Ma maison avait été pillée, j’ai tout perdu », dit-elle.
En 2014, elle décide de tout recommencer et se lance dans la sensibilisation « en faveur de la paix et de la cohésion ». Son centre de santé communautaire est situé entre les quartiers PK5 et Boeing. « Le choix de construire ce centre ici est stratégique. Il permet de recevoir des patients quelle que soit leur origine communautaire », explique-t-elle. Signe d’espoir : de nombreuses femmes, chrétiennes ou musulmanes, n’hésitent pas à accoucher dans le centre.
Moussa Limane, footballeur centrafricain
D’un contrôle de poitrine puis d’une frappe pied droit, Moussa Limane ouvre le score pour l’équipe des jeunes du PK-5. Ce 22 décembre, devant une centaine de spectateurs, cette star du football centrafricain participe à un match de réconciliation entre jeunes musulmans et chrétiens qu’il a organisé sur un terrain de football, dans le quartier Combattant, à Bangui. Situé près de l’aéroport, celui-ci a toujours été hostile aux musulmans depuis décembre 2013. Mais pendant le match, des spectateurs musulmans qui ont accompagné les joueurs embrassent des habitants du quartier. Pour certains, ce sont d’anciens voisins qu’ils ont connu avant la crise.
Si chacun dans son domaine fait quelque chose, on oubliera très vite ce qu’on a vécu
« On avait déjà joué le match aller au PK-5, et c’est le retour qui est à Combattant », explique Sylvain Mande Njapou, un jeune chrétien qui a participé à la rencontre. En trêve hivernale avec son club de football Caspiy (Kazakhstan), Moussa Limane a profité de ses vacances pour organiser au pays plusieurs tournois de football lors desquels s’affrontent jeunes chrétiens et musulmans.
« Lors de ces matchs, je parle aux jeunes de l’intérêt de la réconciliation, de ce que cela peut changer dans notre pays », explique l’attaquant de 24 ans, qui dédie chacun de ses buts « à la paix et la réconciliation » en Centrafrique. En 2013, sa famille a fui les violences dans le pays. Une partie d’entre elle s’est réfugiée à la frontière camerounaise tandis que l’autre rejoignait le Tchad. « Je leur ai rendu visite et j’ai vu ce que les réfugiés endurent. Il est nécessaire que les Centrafricains se réconcilient très vite », plaide-t-il. « Tout dépend de nos engagements », insiste-t-il. « Si chacun dans son domaine fait quelque chose, on oubliera très vite ce qu’on a vécu. »
Lazare Ndjadder, douanier centrafricain
Lieutenant colonel de la douane centrafricaine, Dieu-Merci Lazare Ndjadder, 50 ans, consacre aujourd’hui une grande partie de son temps à la réconciliation en Centrafrique. Chrétien, il était resté avec sa femme et son fils dans l’enclave musulmane du PK-5 après décembre 2013, lorsque les miliciens des deux confessions se chassaient à coup de machette. « Je me suis dit que je devais rester et me battre pour la protection de nos frères musulmans qui, à un moment, étaient devenus une minorité vulnérable », explique-t-il aujourd’hui.
Alors que les musulmans ne pouvaient quitter leur quartier du PK-5 pour effectuer des courses dans le centre-ville ou ailleurs, Lazare Ndjadder les aidait à se procurer les produits de première nécessité, à effectuer des opérations en banque… « Il arrivait aussi que des compatriotes musulmans m’appellent pour les accompagner à l’aéroport ou les en raccompagner, pour éviter qu’ils ne se fassent lyncher », se souvient-il. Un rôle d’ange gardien qu’il n’a pas totalement abandonné.
Il reste à pacifier des villes comme Bria, Ndélé ou Bambari afin qu’on puisse revivre en paix, chrétiens et musulmans
Car ces derniers mois, de nombreux musulmans qui avaient fui Bangui fin 2013 et début 2014 ont commencé à revenir, rassurés par l’élection d’un nouveau président. Mais sur les axes routiers qui mènent des frontières camerounaise et tchadienne à Bangui, de nombreux groupes armés restent toujours hostiles aux musulmans. « On fait appel à moi pour les escorter jusqu’au PK-5 », explique Lazare.
« Il trouve toujours les mots justes pour apaiser les gens même quand ils sont en colère et veulent reprendre les armes », assure Saïd Ali Yahoté, un commerçant habitant le PK-5.
Aujourd’hui, le célèbre marché du PK-5 est de nouveau accessible aux chrétiens. Plusieurs activités culturelles et sportives y sont organisées, auxquelles participent les deux communautés. « C’est déjà un bon début même si beaucoup d’efforts restent à faire », poursuit Lazare Ndjadder. « À Bangui, la réconciliation promet. Il reste à pacifier des villes comme Bria, Ndélé ou Bambari afin qu’on puisse revivre en paix, chrétiens et musulmans. »
Alabira Louqmane, étudiant centrafricain
Âgé de 26 ans, Alabira Louqmane prêche la paix et la réconciliation parmi les jeunes de son quartier, le PK-5. « Quand il y a une tension communautaire et que des jeunes musulmans veulent se soulever contre les autres communautés, il est toujours là à appeler au pardon », témoigne Abdel Kambiri, commerçant au marché du PK-5. Et du côté des chrétiens, Alabira Louqmane est perçu comme un bon médiateur. « Il est sincère. Il fait partie de cette jeunesse patriote, prête aujourd’hui à défendre ce qui reste de la paix à Bangui », explique Armand Bodekandji, un transporteur chrétien.
Étudiant en administration et gestion des affaires, Alabira Louqmane n’avait pas pu accéder à l’Université de Bangui pendant plusieurs mois, comme tous ses camarades musulmans. Dès décembre 2013, nombre d’entre eux avaient été confinés dans le PK-5, d’autres encore avaient fui les violences à Bangui pour se réfugier au Tchad ou au Cameroun.
Il y a encore une crise de confiance pour le moment à l’université, malgré des efforts de part et d’autre
Lui, était parti au Tchad avant de revenir près d’un an plus tard. « Après ce que j’ai vécu là-bas, je me suis dit qu’il valait mieux revenir et construire la paix chez moi », explique-t-il. Dès son retour, Alabira Louqmane va mobiliser les autres jeunes non seulement pour la réconciliation, mais aussi pour qu’ils reprennent leurs études. « Ça n’a pas été facile car la colère était encore là. Mais on a pu en convaincre beaucoup », se réjouit-il.
Aujourd’hui à l’université de Bangui, la coexistence entre les étudiants des deux communautés a repris son cours. Mais « il y a encore une crise de confiance pour le moment, malgré des efforts de part et d’autre », se plaint-il. Ce qui ne l’empêche pas de croire à une réconciliation totale entre Centrafricains, « même si cela doit prendre du temps ou passer par la justice ».
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