Torture au Tchad – Clément Abaïfouta : « On ne s’attendait pas à un tel déni »

Clément Abaïfouta est le président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré. Lui-même victime de l’ancien régime, il assiste au procès des responsables qui s’est ouvert le 14 novembre à N’Djamena. Entretien.

Hissène Habré est en exil à Dakar depuis 1990. © AFP

Hissène Habré est en exil à Dakar depuis 1990. © AFP

Publié le 27 novembre 2014 Lecture : 2 minutes.

Voilà des années que Clément Abaïfouta se bat pour que les responsables de l’appareil répressif du régime Habré (1982-1990), qu’il continuait de croiser à N’Djamena avant leur arrestation en mai 2013, soient jugés. Le procès historique – le premier du genre – qui s’est ouvert le 14 novembre à N’Djamena, au cours duquel 21 hommes sont jugés pour assassinat, torture, séquestration, détention arbitraire, coups et blessures et actes de barbarie durant cette période, est donc pour lui une victoire. Mais une victoire douloureuse.

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Le président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré a passé quatre ans, entre 1985 et 1989, dans les geôles de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la police politique du régime. Il y a enduré plusieurs séances de tortures et affirme aujourd’hui que deux de ses bourreaux sont à la barre.

Jeune Afrique : Que représente ce procès pour vous ?

Clément Abaïfouta : Ce procès est un moment ultime dans la vie de notre lutte. Cela fait 24 ans que nous espérons que justice sera un jour rendue, et 14 ans que nous menons des actions en justice. C’est aussi un moment de pure émotion. Pendant des années, votre tortionnaire a été Dieu sur terre, ou comme un lion dans la jungle. Et là, à la barre, il dit ne pas vous connaître, il nie les faits…

Tous les accusés nient les faits qui leur sont reprochés…

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Oui, cela me choque. Quand j’étais à la barre, j’aurais pu en venir aux mains avec eux. Vous imaginez : la personne qui a assisté à votre torture pendant des années dit ne pas vous connaître et ne rien savoir des faits. Ils arrivent même à nous traiter de menteurs, à dire que nous avons été achetés par des ONG ! On ne s’attendait pas à un tel déni.

Êtes-vous satisfaits de la manière dont se déroule le procès jusqu’à présent ? Certains craignent une justice expéditive.

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Je suis comme Saint Thomas : je ne crois que ce que je vois. Tout peut arriver. Déjà, il y a cette grève des avocats (1) qui perturbe le déroulement des audiences. Est-ce que cela ne va pas accoucher d’une souris ? J’attends de voir les peines qui seront infligées à nos bourreaux.

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À quelles peines vous attendez-vous ?

Je ne suis pas juriste, je ne peux pas vous répondre. Je souhaite seulement que ces personnes soient condamnées à la hauteur du mal qu’ils nous ont fait subir.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez témoigné à la barre ?

Beaucoup d’émotion. J’ai eu du mal à retenir mes larmes. J’ai revu ces quatre années passées en prison. J’ai revu tous mes frères et toutes mes sœurs atrocement torturés et, pour certains, assassinés.

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Propos recueillis par Rémi Carayol

(1)   Les avocats tchadiens réclament le paiement de sommes dues par l’État depuis des années. Cette revendication n’a rien à voir avec le procès qui vient de s’ouvrir. Mais elle a obligé la cour à suspendre les audiences durant plusieurs jours.
 

 

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