Start-up africaine de la semaine : le tunisien Vitalight Lab innove avec l’ « or vert » des microalgues

La société tunisienne d’Ilyes Gouja propose des produits alimentaires et cosmétiques fabriqués à partir de microalgues reconnus pour leurs bienfaits. Dans ce secteur prisé, Vitalight Lab apporte un savoir-faire technologique innovant.

Ferme de production de spiruline dans la ville de Koudougou au Burkina Faso. © Renaud VAN DER MEEREN pour Les Editons du Jaguar

Ferme de production de spiruline dans la ville de Koudougou au Burkina Faso. © Renaud VAN DER MEEREN pour Les Editons du Jaguar

MATHIEU-GALTIER_2024

Publié le 27 janvier 2017 Lecture : 5 minutes.

Qu’est-ce qui peut être à la fois carburant, engrais, alimentation animale et humaine, et cosmétique ? Les microalgues. Mi-végétaux, mi-animaux, ces micro-organismes sont connus et exploités depuis des siècles : les Aztèques et les peuples du lac du Tchad en consommaient.

Présents dans les mers, les lagunes et les eaux douces, les microalgues, qui comptent des milliers d’espèces, sont partout et représentent la moitié de la matière organique sur la planète.

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Le « grand avenir » des microalgues

Selon une étude de 2016 de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), les microalgues « sont appelées à un grand avenir, d’autant plus qu’elles peuvent contribuer à la résilience au changement climatique ».

Elle joue en effet le rôle de puits de carbone en captant du CO2 et en rejetant de l’oxygène. Sur le plan de la santé, les microalgues sont riches en protéines, vitamines, acides aminés et antioxydants.

Économiquement, elles ont une productivité deux fois supérieure à celle du palmier à huile, très présent en Afrique. Le marché mondial actuel est, toujours selon Ipemed, d’environ 470 millions d’euros et porte essentiellement sur les 4 microalgues les plus utilisées (Spiruline, Chlorelle, Dunaliella et Haematococcus) dans l’alimentation et la cosmétique.

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À terme, le marché global, comprenant le biocarburant, les engrais, la cosmétique et les nutriments, est estimé à 5 milliards d’euros.

C’est dans ce contexte favorable qu’a éclos la start-up Vitalight Lab, créée en 2014 conjointement par Ilyes Gouja et sa femme Khaoufa Gouja. Historiquement, les microalgues se cultivent dans des bassins ouverts dont la productivité est soumise aux aléas de la météo. Le progrès aidant, des microalgues ont pu être cultivées hors de leur milieu naturel dans des fermenteurs à l’abri de la lumière, mais seules quelques espèces peuvent s’y développer.

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Culture des microalgues : la troisième voie explorée par Vitalight Lab

Vitalight Lab s’est engouffré dans une troisième voie, très peu utilisée et encore en phase de recherche, celle des bioréacteurs. Cette technologie se présente sous la forme de cuves transparentes où se multiplient les microalgues dans une substance aqueuse.

Ainsi, les microalgues peuvent profiter de la lumière pour faire leur photosynthèse tandis que les scientifiques arrivent à contrôler en laboratoire tous les paramètres indispensables (température, nutrition, pH) à la production maximale de matière organique.

De cette matière organique, la société de 10 employés extrait les principes actifs qu’elle est ensuite capable d’intégrer et de stabiliser dans des conditionnements comme des crèmes ou des sprays. La start-up propose donc, outre la « matière première » qu’est la matière organique, des produits cosmétiques et des compléments alimentaires sous la marque Algo Vita, disponible sur Internet, et, à partir de février, dans des pharmacies et centres de remise en forme en Tunisie.

Avec l’inauguration début janvier de son laboratoire dans la zone industrielle de Charguia à Tunis équipé de quatre réacteurs qui produisent 1 kg de matière organique par jour – l’équivalent d’un bassin  naturel de 100m² –, Vitalight Lab a achevé sa phase pré-industrielle et s’apprête à basculer au niveau supérieur.

Ilyes Gouja avait pourtant un tout autre scénario en tête quand il s’est mis à s’intéresser aux microalgues. Le diplômé de l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN) de Saclay en France (2009) voulait révolutionner le domaine de l’énergie.

Au cours de sa carrière française, à EDF notamment, il se penche sur l’utilisation de microalgues dans le biodiesel par exemple. En 2012, Ilyes Gouja est co-lauréat du Programme d’aide à la création d’entreprises innovantes en Méditerranée (Paceim) grâce à un projet de générateur électrique, préalable à la production de biocarburant, lui aussi construit à partir de microalgues en circuit fermé.

Du biocarburant à la cosmétique

Il bénéficie ainsi d’un suivi pendant deux ans de son projet. Une période pendant laquelle le jeune chimiste se rend compte qu’il ne pourra mener à bien ses travaux. « Produire des microalgues en quantité suffisante pour fabriquer du biocarburant est impossible au sein d’une start-up. Cela nécessite beaucoup trop d’argent au départ », explique-t-il.

Aidé par ses mentors de PACEIM, il change son fusil d’épaule. Ilyes Gouja décide de se pencher sur l’extraction des principes actifs des microalgues, essentiellement la spiruline, pour en tirer les huiles ou les farines qui serviront de base aux cosmétiques et aux compléments alimentaires.

Nous croyons dans le projet pour deux raisons principales.

En 2013, le scientifique remporte le premier prix Univenture, programme de création de start-up basée sur la recherche scientifique soutenu par l’incubateur Wiki Start Up et le réseau d’investisseurs, Carthage Business Angels. « Nous croyons dans le projet pour deux raisons principales : d’abord Ilyes Gouja, qui a un vrai profil d’entrepreneur, ensuite le secteur de la biotechnologie qui a une très haute valeur ajoutée », se réjouit Walid Triki, responsable à Wiki Start Up.

Ilyes Gouja décide donc avec sa femme Khaoufa Gouja, diplômée d’un master en biotechnologie végétale à l’Université Pierre et Marie Curie, à Paris, et doctorante à la Faculté des Sciences de Tunis, de créer la société anonyme Vitalight Lab, l’une des seules à proposer pareille technologie en Afrique du nord, au capital de 580 000 dinars (235 577 euros).

Le couple possède 51% de la société ; le fonds souverain qatari UGFS et le fonds tunisien Innovest –  membres de Carthage Business Angels   – se partagent les 49% restants.

Pour 2017, Ilyes Gouja s’attend à un chiffre d’affaires de 400 000 dinars (163 000 euros). Mais pour faire face à la concurrence des start-up américaines et françaises comme Fermentalg, la société espère lever 7 millions de dinars (2,8 millions d’euros) et passer à un niveau industriel avec notamment une capacité de 120 réacteurs.

Des débouchés en Europe et en Asie centrale ?

Des responsables du Kazakhstan sont venus rencontrer Ilyes Gouja, intéressés par l’aspect prébiotique  – qui favorise la croissance ou l’activité des bactéries intestinales bénéfiques – des microalgues pour le cheptel bovin de ce pays d’Asie centrale.

Ilyes Gouja assure que sa société est déjà techniquement prête à se lancer dans ce secteur de l’alimentation animale. L’agence française pour les investissements internationaux Business France serait également attentive au développement de la start-up.

Avec ce changement d’échelle, le plus dur reste à venir pour la société, surtout que les deux fondateurs sont un couple ce qui est une force mais peut aussi être un facteur déstabilisant.

Aucun d’entre eux n’est spécialiste du management, étant tous deux des scientifiques de formation. Walid Triki admet ces limites mais veut rester optimiste : la nouvelle levée de fonds doit permettre de renforcer la cellule marketing.

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