Des États-Unis à la Tunisie, la haine est de retour
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Skander Ounaies
Professeur à l’université de Carthage. Ancien économiste au Fonds souverain du Koweït (KIA)
Publié le 27 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.
Les derniers événements économiques et politiques, comme le Brexit en Grande-Bretagne, l’élection supposée surprise de Donald Trump aux USA, la victoire de François Fillon aux primaires de la droite en France, me semblent tous avoir un axe commun qui doit nous interpeller, à savoir le rejet ou la haine des « élites », et de la « mondialisation ».
Dans le cas du Brexit, on a clairement vu une rupture générationnelle, entre les jeunes, pour l’Europe et la mondialisation, en rupture avec une génération plus âgée, qui rejette Bruxelles et ses diktats économiques.
Concernant l’élection de Trump, c’est un vote sans conteste WASP (White Anglo Saxon Protestant), d’une Amérique désindustrialisée, qui a pris de plein fouet la crise de 2008 avec, entre autres, les saisies de logements achetés à crédit à taux variables, ce qui était une folie.
Cette élection, outre le rejet des « élites », a été bâtie sur deux axes majeurs : les flux migratoires, également présents dans les Primaires en France, et l’accroissement des inégalités, déjà soulevé par l’économiste Thomas Piketty en 2014, particulièrement à propos des USA, où il démontre que ce processus constituera un danger pour la stabilité politique et sociale. L’élection de Trump prouve qu’il avait vu juste, bien avant tout le monde.
Analyses réductrices et rejet des élites
Toutefois, ces deux élections me semblent porter un grand danger, à savoir, la portée des analyses réductrices. Exemple : la suppression du libre échange, censée redonner de l’emploi.
Une des premières mesures économiques prise par Trump par exemple a été de quitter le Traité commercial Transpacifique (TPP) et d’envisager des renégociations pour l’Accord de libre échange nord américain (Alena)avec le Canada et le Mexique, pour les remplacer par des traités bilatéraux plus profitables aux USA.
Avec les primaires de la droite en France, l’arrivée de l’ancien premier Ministre François Fillon en pôle position montre que c’est le candidat souverainiste de la province, catholique et bourgeoise, qui est choisi pour représenter, globalement, le rejet des « élites » technocratiques nationales et surtout européennes.
En Tunisie, la haine du travail
On ne peut pas clore ce propos sans un bref parallèle avec ce que nous vivons en Tunisie actuellement, à savoir le rejet ou la haine. En effet, on assiste à un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur, passant de l’indifférence, au rejet, et qui s’oriente progressivement vers la haine.
Deux éléments fondamentaux expliquent cette situation : une désillusion totale dans la classe politique, qualifiée d’opportuniste, et d’incompétente, couplé à une chute du niveau de vie pour la quasi majorité de la population, résultat des erreurs politiques et économique des années post « révolution ».
On observe donc, depuis un certain temps, des mouvements sociaux, relatifs à la haine de l’entreprise, de l’éducation publique, de la justice et des magistrats, du travail, que beaucoup considèrent comme « stérile » au sens physiocratique du terme, c’est-à-dire non reproductif. Enfin, pour finir, et en plus dangereux, la haine de l’État, que beaucoup considèrent comme totalement absent de leurs problèmes quotidiens, surtout dans les régions dites défavorisées.
À ce sombre tableau sociétal s’ajoute une année économique 2017 à venir difficile, avec des remboursements de dette extérieure et une clôture de budget qui vont nécessiter des financements extérieurs importants et difficilement réalisables, vu le taux de croissance faible de l’économie. Et puis il y a l’image catastrophique du pays à l’étranger, en tant qu’ « exportateur » de terreur, avec les derniers attentats de Nice et Berlin effectués par des Tunisiens, et qui vient alourdir ce sentiment de haine, cette fois, vis-à-vis des « Autres ».
La Tunisie a besoin d’un leader
Selon la théorie économique de la régulation (Aglietta,Boyer,Lipietz), qui explique le mieux, à mon sens, le passage dans lequel se situe la Tunisie aujourd’hui, deux éléments fondamentaux expliqueraient la quasi stagnation de croissance depuis cinq ans. Un problème de formes institutionnelles, qui tardent à se mettre en place, ainsi qu’un problème de régime d’accumulation. En d’autres termes, l’absence d’une dynamique d’investissement capable d’enclencher des gains de productivité durables, aboutissant à un nouveau type de partage de la valeur ajoutée, pour tendre, progressivement, vers un nouveau type de croissance, qui resterait à définir.
Face à cet ensemble de menaces, sociétales et économiques, il faudrait une vision forte qui soit portée par un leader, capable d’unir un pays divisé, redonner au travail toute sa valeur, combattre par des actes « intelligents » la haine, fondement de toutes les dérives, et pouvant insérer le pays dans un monde nouveau, pour lequel beaucoup d’interrogations sont à venir.
La « classe politique » actuelle ne me semble pas détenir un tel profil, malheureusement, d’où les inquiétudes pour les temps à venir.
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