Tunisie : trois ans après, la Constitution toujours dans l’attente de ses garde-fous

Trois ans après l’adoption de la nouvelle Constitution, les changements prévus par cette dernière peinent encore à se concrétiser. Et la société s’impatiente.

Une copie de la nouvelle Constitution tunisienne, sur un des bureaux de l’Assemblée, le 27 janvier 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Une copie de la nouvelle Constitution tunisienne, sur un des bureaux de l’Assemblée, le 27 janvier 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Publié le 27 janvier 2017 Lecture : 4 minutes.

La Constitution tunisienne, adoptée par 200 des 217 membres de l’Assemblée nationale constituante (ANC) et promulguée par les dirigeants du pays le 27 janvier 2014, fut porteuse d’espoirs et de renouveau. Marquant une étape cruciale dans la réalisation de la transition démocratique, entamée par le renversement de la dictature de Zine el-Abidine Ben Ali, elle fut saluée en Tunisie et à l’étranger comme une « fierté », un accomplissement « historique », un « exemple pour d’autres pays ». Mais qu’en est-il dans la pratique ? Trois ans plus tard, a-t-elle tenu toutes ses promesses ?

Une législation encore en chantier

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La parution d’un Dictionnaire des termes et expressions de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 (en arabe seulement pour l’instant) a marqué cet anniversaire cette année. Présenté lors d’un colloque international à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociale de Tunis les 25 et 26 janvier 2017, le lexique propose des définitions et explications des termes contenus dans la loi fondamentale, ainsi que l’évolution de leurs significations depuis la Constitution de 1959.

Une analyse qui soulève certaines contradictions et ambiguïtés, comme l’a fait remarquer Mouna Kraiem Dridi, conseillère juridique du président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) : dès l’article premier par exemple, qui dispose que « la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime », « à qui peut-on attribuer le caractère religieux ? Est-ce à l’État ou à la société tunisienne ? », s’interroge-t-elle dans le journal tunisien La Presse.

Et si des réformes législatives ont bien eu lieu, plusieurs dispositions juridiques et réglementaires tunisiennes sont encore dénoncées par la société civile comme étant « dépassées », « rétrogrades », et non-conformes aux droits et libertés consacrés par la Constitution de 2014. Et d’autres brillent par leur absence.

Voici des exemples de lois tunisiennes, nouvelles ou en débat, qui ont fait l’actualité post-Constitution :

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Paralysie judiciaire

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« La mise en place du Conseil supérieur de la magistrature intervient dans un délai maximum de six mois à compter de la date des élections législatives. Intervient à compter de la même date et dans un délai maximum d’un an, la mise en place de la Cour constitutionnelle », indique l’article 148-5 de la Constitution. Plus de trois ans après lesdites élections en Tunisie, le mécanisme peine encore à ce mettre en marche.

Si la toute première élection des membres du nouveau Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a finalement eu lieu en octobre 2016, l’instance chargée du « bon fonctionnement de la justice et [du] respect de son indépendance » subit depuis un blocage lié à des différends au sein de la magistrature et des membres élus. Dépendant de la mise en place du CSM, une dizaine d’articles de la Constitution relatifs à l’ordre judiciaire et à la justice administrative et financière ne sont ainsi toujours pas applicables depuis l’entrée en vigueur du texte fondamental en 2014. Et également suspendue à l’instauration du CSM : la Cour constitutionnelle.

« Il existe des zones d’ombre dans les dispositions de la Constitution, ce qui souligne le besoin urgent de mise en place de la Cour constitutionnelle », a déclaré Mohamed Ennaceur, le président de l’Assemblée des représentants du peuple, ce 26 janvier.

Cette autre instance a pourtant été officiellement créée en novembre 2015. Mais sa mise en place dépend aussi de celle du CSM, quatre des douze membres de la future Cour devant être désignés par celui-ci.

Et en plus de ces deux garde-fous, essentiels à l’instauration d’un État de droit, cinq instances indépendantes sont également prévues par la nouvelle Constitution. Si l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) existe depuis 2012, certaines, comme l’Instance du développement durable et des droits des générations futures, n’ont pas encore vu le jour. Et d’autres, déjà existantes, attendent d’être remplacées (à l’instar de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle – ou Haica- qui devrait bientôt laisser la place à une future Instance de régulation de l’audiovisuel).

Le pouvoir local en suspens

Une loi électorale quasi-impossible à appliquer, des difficultés de financements, des risques de fraudes ainsi qu’un manque de ressources humaines font craindre un énième report des élections municipales. Initialement prévues pour mars 2016, elles avaient ensuite été fixées au 26 mars 2017 et devront permettre la décentralisation – via la gouvernance participative des collectivités locales – inscrite dans la Constitution de 2014.

Car à l’issue de la révolution de 2011, les municipalités tunisiennes avaient été dissoutes et remplacées par des « délégations spéciales » chargées de gérer les affaires courantes. En attendant, tout le chapitre V de la Constitution est en suspens.

« C’est non seulement une obligation (constitutionnelle) (…), c’est un besoin, parce que le citoyen tunisien a besoin d’avoir des municipalités efficaces, légitimes pour (qu’elles puissent) réellement réussir leur mission. Ce n’est pas normal du tout qu’on ait des structures provisoires qui dépassent les six ans », insiste à l’AFP Chafik Sarsar, le président de l’instance électorale.

Et le président tunisien Béji Caïd Essebsi de répondre le 12 janvier 2017 : « C’est vrai que ça a traîné un peu. Mais ça n’est pas le fait du gouvernement. Nous avons une législation très encombrée. L’Assemblée travaille sans relâche. (…) Nous sommes une démocratie naissante, nous n’avons pas de précédent (…). Il est certain que nous apprenons un peu comment on règle ces problèmes dans une démocratie, et évidemment ça prend du temps. »

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