Football : Joseph-Antoine Bell président !
Joseph-Antoine Bell, 62 ans, est un personnage à part. Une denrée rare dans le foot africain. L’ancien gardien de but camerounais, qui fit ses débuts à l’Union sportive de Douala avant de faire les beaux jours de Marseille, Bordeaux et Saint-Étienne, n’a pas sa langue dans sa poche.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 30 janvier 2017 Lecture : 4 minutes.
Il dit ce qu’il pense, ce qui lui vaut de solides inimitiés, notamment dans son pays. Et il voit juste, mieux que la plupart des footballeurs, ce qui n’a rien d’un exploit, mais mieux aussi que nos dirigeants, ce qui est plus problématique. Dans un excellent entretien accordé au quotidien sportif français L’Équipe (daté du 23 janvier), il a passé en revue tous les sujets qui nous concernent, que l’on soit amateur de football ou non. Petit verbatim, frappé au coin du bon sens :
Le Mondial de football à 48 équipes
« C’est une hypocrisie […], du Donald Trump. On veut plaire aux gens, on dit que c’est pour donner la chance à tout le monde… Mais cela dénature la compétition, qui est faite pour dégager les meilleurs. La Coupe du monde commence avec les éliminatoires et tout le monde y participe déjà. […] Les Africains sont pour ? Ils doivent revendiquer d’être jugés comme tout le monde. Ils doivent être dedans par le mérite.
Notre continent n’a pas plus de chances de la gagner car on a augmenté le nombre de participants. Les gens se laissent flatter. […] Si les Africains veulent être vus comme des petits… qui viennent faire un tour, ça sert à quoi ? […] Il faut faire la promotion de la qualité. C’est ce qui pousse les gens à rêver. »
Des « matchs à faire dormir »
« Je suis mille fois déçu. Malheureusement, tout le monde copie ce que Blatter a fait à la Fifa. Quand vous arrivez dans une ville, le plus bel édifice est le stade, c’est le plus coûteux… Ça devrait interpeller. On est arrivé à avoir un cahier des charges ridicule avec des stades de 25 000 places dans des villes qui comptent moins de 25 000 habitants.
On n’a pas de crèches mais on a des stades […]. Ça fait joli, on croit épater des journalistes blancs.
On n’a pas de crèches mais on a des stades […]. Ça fait joli, on croit épater des journalistes blancs mais, durant la CAN, on court pour venir voir des joueurs remplaçants en Europe ou des gars de deuxième zone. Et personne ne s’inquiète de cela. Si on a des joueurs de ce niveau, il est normal qu’on ait des matchs à faire dormir. »
« Faiblesse » du foot africain
« C’est pire qu’avant, les mauvaises herbes sont encore plus hautes. On voit des choses désespérantes avec des dirigeants incapables de réfléchir. Regardez notre CAN. Je dis depuis 1988 qu’il faut changer la date de cette compétition. Issa Hayatou m’est tombé dessus en disant que l’Afrique n’avait pas à se conformer aux championnats européens. On me dit que juin est impossible pour des raisons climatiques, alors pourquoi les Africains veulent-ils organiser une Coupe du monde à cette période, avec Hayatou en fer de lance ? Et il y a bien des éliminatoires en juin, non ? […] C’est une réaction à la colonisation qui n’est pas bonne.
Hayatou se représente pour un huitième mandat ? Je ne vais rien lui reprocher car où sont les autres candidats ?
On dit qu’on ne peut pas déplacer notre compétition car les Blancs le demandent. Mais ce sont eux qui nous font rois, eux qui font roi M. Hayatou. Il n’y a que des sponsors de Blancs autour des terrains, il n’y a que des clubs de Blancs qui hébergent nos joueurs, les forment, en font des hommes, leur donnent une ascension sociale et de la qualité. Hayatou se représente pour un huitième mandat ? Je ne vais rien lui reprocher car où sont les autres candidats ? On a réussi à émasculer tout le monde car personne ne lui dit rien. La faiblesse du foot africain vient aussi de là. Il faut évidemment passer à autre chose. On dit qu’en Afrique on meurt chef, etc. Ce sont des tas de conneries ! Je vois le foot africain s’écrouler. Regardez la Ligue des champions africaine.
On aime le drame en Afrique, pas ces matchs de groupes où on ne sait pas où on en est. Comme ça faisait plus d’argent en raison des sponsors, des têtes pensantes européennes ont vendu l’idée de cette C1. Et j’ai vu un match de Ligue des champions sur un stade annexe en terre battue devant personne. Je dis ça simplement pour attirer leur attention et pour leur dire : n’oubliez pas le jeu. » Tout est dit…
Qui pour contrer Issa Hayatou ?
Casablanca, 10 mars 1988. La 18e assemblée générale de la Confédération africaine de football (CAF) se réunit dans les salons de l’hôtel Safir pour élire le successeur de l’Éthiopien Ydnekatchew Tessema, décédé en août 1987. Le Camerounais Issa Hayatou, ancien professeur d’éducation physique et cadre à la fédération de son pays, l’emporte d’une courte tête sur le Togolais Folly Ekué. À seulement 41 ans.
Son programme ? Mettre fin à l’exode sauvage des joueurs africains, améliorer la formation, combattre la violence, la tricherie, la corruption. Vingt-neuf ans et sept mandats plus tard, le jeune patron du foot africain s’est mué en arapède accroché à son pouvoir. Même la tempête qui s’est abattue sur la Fifa ne l’a guère atteint. Ses promesses sont restées lettre morte. Les nouveaux statuts, adoptés fin septembre 2016, lui permettront de régner encore douze ans s’il le souhaite, jusqu’en 2029 ! Et, pour l’instant, comme à chaque élection, personne ou presque ne songe à l’affronter (seul le Malgache Ahmad est candidat à l’heure actuelle).
Hayatou est devenu la caricature de ce que les Africains ne supportent plus : le pouvoir solitaire, à durée indéterminée, la corruption (il a été condamné en 2011 par le Comité international olympique), les compromissions et le népotisme, les promesses non tenues, le culte de l’argent roi sans le développement. Seules quelques rares voix, comme celle de Bell, s’insurgent. Jusqu’à quand ?
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