Mali : la grève des magistrats continue de paralyser la justice

La grève n’était censée durer qu’une semaine, mais les tensions sont vite montées entre le gouvernement et les magistrats, qui l’ont prolongée pour une durée illimitée. Au Mali, l’appareil judiciaire s’en trouve totalement paralysé.

Vue de Bamako (Mali) depuis le somment de la colline Lassa. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Vue de Bamako (Mali) depuis le somment de la colline Lassa. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Publié le 30 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.

Les tribunaux des six communes de Bamako sont fermés. Devant le commissariat de la commune V, des proches de personnes détenues depuis plusieurs jours sont furieux : « Ça fait cinq jours que notre frère est détenu ici. Ils disent qu’ils ne peuvent pas le libérer pour le moment. Ils veulent juste nous soutirer de l’argent », vocifère Seydou.

L’agent Fofana tente de lui expliquer la situation dans le calme : « Les détentions sont prolongées parce qu’il n’y a pas encore eu de jugement ou même de poursuites judiciaires ». D’un geste de la tête, Seydou exprime son incompréhension.

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Pourtant, l’agent dit vrai : les quelque 570 magistrats du pays sont en grève depuis le 9 janvier. Les deux syndicats majoritaires de la magistrature avaient lancé une grève d’une semaine pour tenter de faire céder le gouvernement à leurs revendications. Mais très vite, la grève est devenue illimitée. Le ministre de la Justice, Me Mamadou Konaté, évoque « un État de non droit ».

Une situation dont l’épilogue semble encore très lointain. « Nous sommes dans une stature de non repli », confirme Aliou B. Nanacassé, vice-président du syndicat autonome de la magistrature (SAM). L’intervention des leaders religieux et de certains hommes politiques comme Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition, n’a pas permis de trouver une issue favorable au conflit.

Au contraire : les deux camps continuent de se renvoyer la balle. Pour le gouvernement, accusé de mauvaise foi, les caisses de l’État ne peuvent supporter les doléances des robes rouges.

Que veulent les magistrats ?

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« Il s’agit de l’augmentation de nos salaires, primes et indemnités en plus de la relecture du statut de la magistrature », résume Aliou B. Nanacassé. Mais pour l’État, une telle mesure impliquerait de faire passer de 350 000 F CFA (532 euros) à 750 000 F CFA (1140 euros) les salaires des magistrats en début de carrière, et de 1 100 000 F CFA (1672 euros) à 3 500 000 (5320 euros) le salaire des juges situés au sommet de la hiérarchie.

Concernant les indemnités de judicature, les grévistes veulent qu’elles soient revues à hauteur de 800 000 F CFA (1216 euros) par magistrat, et les indemnités de logement à hauteur de 500 000 F CFA pour ceux de la Cour suprême (760 euros), de 300 000 francs CFA pour les autres (456 euros).

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Selon le gouvernement, si l’ensemble des revendications étaient acceptées, il en coûterait environ 34 milliards de F CFA par an à l’État. « Dans l’espace UEMOA, le Mali est 3e en matière macroéconomique [après la Côte d’Ivoire et le Sénégal, ndlr], mais curieusement un magistrat débutant au Niger ou au Burkina est mieux payé que le magistrat le plus gradé ici. On ne peut pas nous parler de moyens », se révolte Nanacassé. Avant d’ajouter : « Selon les textes de la Cedeao ratifiés par le Mali, 3% du budget national doivent être consacrés au fonctionnement de la justice ; ici nous ne sommes qu’à 0,5%. »

Une « meilleure indépendance »

Si les magistrats ont d’autres revendications économiques − ils demandent par exemple l’octroi de primes de responsabilité et de risque, d’indemnités de recherche, la revalorisation de leurs pensions de retraite et la dotation en carburant de chacun − ils ne s’arrêtent pas à ce domaine.

Les grévistes réclament de fait une « meilleure indépendance » du pouvoir judiciaire, − exigeant notamment l’autonomie dans la gestion de leur carrière −, tant en matière de mutations que de discipline choisie. Ils demandent par ailleurs l’élaboration d’un plan de carrière des magistrats, un droit à la formation continue et l’octroi au SAM d’un poste au Conseil économique, social et culturel.

Pour le moment, les discussions entre les deux parties sont au point mort. Et le blocage pourrait durer.

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