Crise anglophone au Cameroun : Yaoundé s’agite, mais ne communique pas…
Face à la crise dans les deux régions anglophones, Yaoundé s’agite plus qu’il ne communique. Le gouvernement a perdu la guerre de la communication, et ce malgré nous, car nous sommes Camerounais d’un bout à l’autre.
-
Vincent-Sosthène Fouda
Vincent-Sosthène Fouda est politologue camerounais. Il enseigne à Houston (États-Unis).
Publié le 3 février 2017 Lecture : 4 minutes.
Mon indignation aujourd’hui tourne en inquiétude. Qui communique pour le Cameroun ? Qui veut vraiment la paix dans ce pays ? Une oligarchie de petits journalistes, de petits intellectuels, de petits voleurs ont confisqué les médias publics et privés. Nous sommes débordés comme peuple qui veut un Cameroun uni. Mais aujourd’hui, qui pour répondre à Boh Herbert, hier journaliste à la CRTV, porte-parole du mouvement sécessionniste ?
Mettons toujours le piment dans la sauce nous verrons comment il pique. Ne soyons pas pressés d’embarquer dans un navire qui coule ! Disons merci à monsieur Issa Tchiroma Bakary pour son honnêteté et son naturel, si bien adapté à la vie politique de notre pays comme le Renouveau a voulu la construire. La communication gouvernementale est en crise, menacée de tourner mal, dans le sens de l’implosion du pays, de son appauvrissement, de la violence, du déni du « nous-commun », d’une véritable régression culturelle. Aucun pays mis en cause ne communique de cette façon aujourd’hui !
Le Cameroun rame et ses leaders rient sous cape… Les analystes qui se penchent sur l’étrangeté politique du Cameroun sont tenus d’envisager toutes les hypothèses, y compris une maladie psychiatrique de notre système gouvernant. La rigueur historique, la responsabilité sociologique miennes m’obligent à tirer la sonnette d’alarme. Toute la société camerounaise ne peut pas être aveugle et ne saurait suivre sans rien faire cette dérive dans la communication gouvernementale. Oui, cette communication gouvernementale est la preuve que le Cameroun est malade. Le ministre Issa Tchiroma Bakary sert de guide involontaire certainement, dans l’examen du mal qui ronge notre pays. Pour ma part, j’ai décelé cinq traits saillants de la désorganisation communicationnelle du régime en place au Cameroun.
- L’incohérence de la pensée conduit à décrire la naissance du vide idéologique dans notre pays. Qui peut dire aujourd’hui sur quoi, sur quelle ligne idéologique le régime en place à Yaoundé communique-t-il avec le peuple camerounais?
- La médiocrité intellectuelle renvoi à la stagnation éducative dans laquelle le Cameroun est entré récemment, et qui implique une véritable crise de nos institutions éducatives où les universitaires arrimés aux intellectuels sont des ayatollahs et des va-t’en guerre. Ils appellent à écraser ceux qui ne pensent pas comme eux, refusent la main tendue, bloquent le débat public dans les médias pourtant financés par nos impôts, asservissent, réduisent en esclaves sexuels…
- L’agressivité nous fait saisir la dimension négative du débat public et donc de la démocratie : de manière latente, celle-ci s’appuie sur un mécanisme d’exclusion du « non-citoyen ». Ici, ce sont nos compatriotes anglophones qui sont privés d’Internet et tous ceux qui sont pour le dialogue sont voués à la mort. Oui, en période de crise, l’exclusion peut devenir explicite et aboutir à la désignation de boucs émissaires. Alors je donne mes poignets pour les menottes, mais nous ne pouvons pas continuer ainsi !
Cette élite régnante et non gouvernante est incapable de penser la lutte contre la misère après avoir échoué dans la lutte contre la pauvreté
- L’amour de l’argent caractérise notre système gouvernant et tous ses membres. Des prisonniers qui continuent à construire de grosses villas dans les villes et villages pendant que leurs progénitures narguent le peuple sur les réseaux sociaux. L’argent n’est plus un outil de travail dans le système économique, mais un phénomène de mentalité ! Un mètre carré de terrain à titre de comparaison dans le quartier le plus huppé de Houston nous revient à 10 000 (dix mille francs CFA) alors que le m² de terrain à Yaoundé oscille entre 25 000 et 75 000 F CFA! Nous découvrons là comment et pourquoi cette élite régnante et non gouvernante est incapable de penser la lutte contre la misère après avoir échoué dans la lutte contre la pauvreté. Elle fabrique l’appauvrissement et la montée des inégalités. En vérité, c’est un problème plus psychiatrique que psychologique.
- L’instabilité affective et familiale nous met sur la voie de l’aspect le plus fondamental de la situation présente : l’évolution des valeurs familiales. Une lente dérive anthropologique sous-tend la dérive politique et sociale du pays. Le nombre de divorces explose, les assassinats dans la fratrie sont monnaie courante. Les villages se vident, la jeunesse est dans les déserts de Libye et du Maroc, les femmes se jettent en mer, le malaise épouse le mal-être.
Notre vivre ensemble a été expurgé de son soubassement historique et remplacé par un vide morbide
J’appelle les uns et les autres à se ressaisir, car chaque jour apporte son lot de choix, petits ou grands. Ces choix, nous devons les faire, tous n’ont pas la même portée, et tous n’engagent pas à avoir les armes aux poings, loin de là. Nous devons lutter contre l’inflation du « vivre ensemble » qui gagne du terrain chaque jour un peu plus. Le président Biya n’est pas un Dieu, sommet où l’érige le porte-parole de son gouvernement, il n’y a pas de bons Camerounais d’un côté et de mauvais Camerounais de l’autre. Il y a des Camerounais qui n’arrivent plus à dialoguer ensemble, parce que notre vivre ensemble a été expurgé de son soubassement historique et remplacé par un vide morbide.
Les Anciens, ceux que nous appelons les ancêtres, n’appelaient-ils pas vertus ces habitudes humaines qui, par suite de l’éducation, de choix répétés, nous portent comme spontanément à l’honnêteté, à la politesse, à l’accueil d’autrui, à la révolte devant une injustice ? Un peuple naît quand survient une conscience collective qui sait distinguer entre l’essentiel et l’accessoire, le devoir de l’État est de construire cette conscience collective à travers son système de communication entre autres. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et c’est mon devoir de le dire !
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...