« Camarade Zuma, retirez ce mot ! »
Panafricaniste épidermique et nostalgique des AG étudiantes échevelées du Paris des années 1970, Alpha Condé s’est retrouvé en terrain familier pour son baptême du feu de président en exercice de l’Union africaine (UA), le 30 janvier, à Addis-Abeba.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 6 février 2017 Lecture : 4 minutes.
De ce sommet « historique » qui a vu le retour du Maroc au sein de sa famille naturelle après trois décennies d’exil volontaire, nos envoyés spéciaux racontent la genèse, le déroulement et les conclusions. Je m’attacherai donc ici à vous narrer, à la manière d’une pièce de théâtre, le huis clos du lundi après-midi, quand la demande d’admission du royaume a été discutée par nos chefs d’État dans une atmosphère passablement enfiévrée*.
Il est 16 heures. Sur les 54 États représentés, 29 s’apprêtent à prendre la parole sous la houlette du président guinéen, maître de cérémonie aussi habile que sourcilleux et bien décidé à faire respecter la règle des trois minutes par délégation. Tous ont en main un document de dix pages que lit à la tribune, avec des gestes de pasionaria, une juriste angolaise du staff de Mme Dlamini-Zuma, dont on connaît les sympathies pour la « cause » des indépendantistes sahraouis.
Autant dire que le ton de cette « Opinion juridique sur la demande d’admission du Maroc » est résolument hostile à ce dernier. « La présence du Maroc sur le territoire du Sahara occidental est considérée par les Nations unies et l’Union africaine comme une occupation », assène la juriste, qui évoque « la question du respect des droits de l’homme », celle de « l’exploitation illégale des ressources » du territoire, constate que « jusqu’ici le référendum n’a pas eu lieu » et se demande « s’il est opportun d’admettre un nouveau membre qui ne pourrait pas respecter les termes et conditions » de l’acte fondateur de l’UA.
Agacé par le militantisme affiché de la dame, Alpha Condé lui enjoint de quitter la salle et de n’y plus revenir, afin de laisser place au débat – lequel s’annonce houleux.
Le camp anti-Marocains – ils seront dix, sur vingt-neuf intervenants – sonne la charge. Robert Mugabe (Zimbabwe) : « Le Maroc doit nous dire s’il entend ou non respecter notre charte, qui proscrit l’occupation d’un État membre ! » Jacob Zuma (Afrique du Sud), approuvé par le Botswanais Ian Khama et par le Premier ministre du Lesotho : « Il y a effectivement problème, puisque le Maroc ne reconnaît pas l’un des membres de notre famille, la RASD. »
Abdelmalek Sellal (Premier ministre algérien) : « L’Algérie est favorable au retour du Maroc dans la famille, sur le principe tout le monde est pour. Mais ce n’est pas qu’une affaire de mathématiques. L’article 42 de sa Constitution [lequel fait du roi le garant de l’intégrité territoriale du royaume “dans ses frontières authentiques”] doit être revu. Nous proposons la mise en place d’un comité pour discuter de cela avec la partie marocaine. Si elle accepte cette révision, on pourra tous dire “amen, amen, amen”. »
Brahim Ghali, « président » de la RASD : « Le Maroc doit renoncer à l’article 42, qui l’autorise à avoir des prétentions sur le territoire de quatre pays » (sic).
Alpha Condé donne alors la parole aux pro-Marocains – dix-neuf s’exprimeront. Certains avec passion, comme le Rwandais Paul Kagame, le Ghanéen Nana Akufo-Addo, le Sénégalais Macky Sall ou le Comorien Azali Assoumani, qui fustige le « mépris » dont font preuve « ceux qui veulent revenir sur une décision que nous avons prise l’an dernier à l’unanimité ».
D’autres en faisant appel à l’Histoire, tels Ali Bongo Ondimba, qui rappelle que, lors de l’admission de la RASD à l’OUA en 1984, le Gabon n’était pas d’accord, mais s’est plié à la majorité, ou Denis Sassou Nguesso, qui estime que « deux États en conflit au sein de l’organisation, ce n’est pas nouveau » et que cela reste gérable.
Le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn ferme le ban, avec une phrase empreinte de sagesse amharique : « Pour régler un problème, mieux vaut avoir nos amis à l’intérieur que de les avoir comme ennemis à l’extérieur. »
Il est 20 heures, et Alpha Condé, qui sait où il veut en venir, feint de constater une impasse : « L’admission doit se faire normalement par consensus ; que devons-nous faire ? » L’Algérien Sellal tente une dernière salve : « Écoutons la voix du vieux sage qu’est le président Mugabe et prémunissons-nous contre des difficultés futures. Prenons le temps de dissiper tout doute sur les intentions marocaines. Vous-même, président Condé, vous êtes un sage, un “alpha”. Prenez une décision sage ! »
Alpha Condé : « Il ne s’agit pas d’un problème de sagesse, mais de savoir comment nous devons fonctionner. Laissons les États décider ! » Jacob Zuma, indisposé : « La majorité mathématique n’a pas toujours raison, mais, bon, vous êtes le président en exercice et vous pouvez orienter les débats as you wish » –, ce que l’interprète traduit par « à votre guise ». Condé bondit : « Je n’oriente rien à ma guise, notre assemblée est démocratique, et c’est vous qui décidez ! Camarade Zuma, retirez ce mot. J’insiste. Retirez-le ! »
Zuma s’excuse, estime qu’on l’a sans doute mal traduit. On a frôlé l’incident, ce qui a pour effet immédiat d’apaiser les esprits, comme si chacun prenait conscience d’une évidence : si dix États ont exprimé des réserves quant à l’admission du Maroc, aucun n’a osé formuler un « non » formel.
Après avoir sollicité un ultime tour de table et constaté que ni Mohamed Ould Abdelaziz, de Mauritanie, ni Mahamadou Issoufou, du Niger, ni Idriss Déby Itno, du Tchad, ni le Premier ministre du Mali – quatre pays en équilibre géopolitique délicat entre Alger et Rabat – ne souhaitaient prendre la parole, Alpha Condé saisit la balle au bond. « Je propose que l’admission du Maroc soit adoptée par consensus. » Jacob Zuma, désormais calmé : « Allons-y. Mais nous continuerons à nous battre pour trouver une solution au problème du Sahara occidental. »
Applaudissements et fin du huis clos. Le lendemain, dernier jour de janvier, la famille émue accueillait en son sein un roi qui avait à peine 21 ans lorsque son père décida de la quitter.
*Récit résumé sur la base d’un verbatim de la réunion, avec la contribution de Christophe Boisbouvier, à Addis-Abeba.
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