Bénin – Lehady Soglo : « À Cotonou, nous pourrions faire plus si le gouvernement nous accompagnait »

Les opérations de déguerpissement à Cotonou, débutées début janvier, cristallisent les tensions entre le gouvernement du président Patrice Talon et le maire de la ville, Léhady Soglo. L’édile répond aux questions de Jeune Afrique.

Léhady Soglo, élu maire de Cotonou en juillet 2016. © Vincent Fournier/J.A.

Léhady Soglo, élu maire de Cotonou en juillet 2016. © Vincent Fournier/J.A.

Publié le 9 février 2017 Lecture : 4 minutes.

Léhady Soglo, le maire de Cotonou, bousculé sur son propre terrain ? Depuis plusieurs semaines, Modeste Toboula, le préfet du département du Littoral, défile d’un pas martial dans les rues de la capitale économique, veillant, en véritable chef des opérations, à ce que tous ceux qui occupent l’espace public illégalement en soient chassés, et que toute construction et autres objets situés au-delà des limites du domaine privé soient détruits.

Si la méthode employée fait débat, le volontarisme du gouvernement Talon, qui s’était engagé au mois d’octobre à assainir la ville et à poser les conditions favorables à la refonte du réseau routier, trouve ses partisans. Et tant pis si, un mois après le début des opérations, la ville est méconnaissable, les rues étant recouvertes de gravats, les trottoirs défoncés et si les personnes dites « déguerpies » n’ont aucune solution de remplacement. Une situation inacceptable pour le maire de Cotonou, qui a reçu Jeune Afrique dans son bureau, le 2 février.

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Jeune Afrique : Modeste Toboula, le préfet de Cotonou, vous accuse d’avoir laissé faire, ce qui expliquerait la situation actuelle. Que lui répondez-vous ?

Lehady Soglo : Modeste Toboula se trompe d’époque et de personne. En effet avec les lois sur la décentralisation, les maires, élus, ne sont plus subordonnés aux préfets comme l’étaient les chefs de circonscriptions urbaines. Normalement, l’opération de libération des espaces publics relève de notre responsabilité et devrait être conduite par la mairie. Le préfet viole la loi en se substituant au maire. L’État devrait d’abord constater l’incapacité de la commune à agir, nous avertir par le truchement du préfet et enfin mettre la mairie en demeure en accordant des délais raisonnables pour l’exécution de la mesure. Cela n’a pas été le cas !

Le préfet vous accuse également de percevoir illégalement des taxes sur les vendeurs de rues…

Je suis surpris qu’un responsable, censé exercer le contrôle de la légalité des actes, ne connaisse pas le droit. La loi est claire : toute personne qui occupe le domaine public fait l’objet d’une taxation aussi bien au niveau communal que national.

Les intentions sont bonnes, mais à l’arrivée c’est le chaos

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Combien rapportent ces taxes à la mairie de Cotonou ?

Cela représente 1,2 milliard de Francs CFA par an.

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Dans le fond, cette opération de déguerpissement vous semble-t-elle nécessaire ?

Sur le principe, la mesure est salutaire. Personne n’est contre le fait d’avoir une ville plus propre. Ce que l’on déplore, c’est la méthode employée, la violence et la brutalité avec lesquelles est conduite l’opération. Les intentions sont bonnes, mais à l’arrivée c’est le chaos.

Les déguerpis reviendront demain s’ils n’ont pas d’alternative. Ceux qui occupent l’espace public, souvent depuis plusieurs années, le font non par goût mais par nécessité. Ce sont les plus pauvres d’entre nous, en majorité des femmes. Nous avons une obligation de trouver des sites d’accueil et de reloger ces gens. Nous nous y employons activement. Nous pourrions faire plus si le gouvernement, dans un esprit de dialogue et de concertation, nous accompagnait.

Si la mesure vous semblait indispensable, pourquoi ne pas l’avoir prise plus tôt ?

La mesure n’est pas nouvelle, le Conseil municipal de la ville de Cotonou a pris plusieurs délibérations allant dans ce sens. Lorsque nous avons été reçus au ministère du Cadre de vie et du Développement durable (qui a la charge des opérations de déguerpissement, NDLR), nous avons insisté sur la nécessité de tenir compte de la dimension économique, sociale et humaine de la mesure, par nature complexe à mettre en œuvre. Mais nous n’avons malheureusement pas été compris.

Nous sommes dans une guerre inutile des institutions. C’est pourquoi, j’appelle au dialogue et à la concertation

Actuellement, est-ce que vous coordonnez les opérations de déguerpissement avec la préfecture ?

La contribution de la Mairie consiste pour l’essentiel à enlever les gravats donc à nettoyer la ville et a procédé, comme je l’ai dit plus haut, au relogement des sinistrés.

Donc c’est la préfecture qui casse, mais c’est la mairie qui ramasse…N’est-ce pas un peu paradoxal ?

C’est paradoxal et embarrassant. Nous sommes dans une guerre inutile des institutions. C’est pourquoi, j’appelle au dialogue et à la concertation.

Aujourd’hui, que comptez-vous faire ?

Nous n’avons pas été élus pour rester les bras croisés. Sur les 1000 places que nous avons recensées dans les 36 marchés secondaires de la ville, plus de la moitié ont été allouées à des personnes déplacées. Nous sommes également en train d’aménager un nouveau site à Gbèdjromèdé dans le 6e arrondissement qui servira à accueillir plus de 1 500 femmes commerçantes qui ont été déguerpies du marché Dantokpa Caniveau. Nous travaillons aussi à la création de nouveaux espaces marchands modernes dans le cadre du partenariat public-privé.

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