« Dynamiques génocidaires » au Burundi : est-il nécessaire d’ajouter un point d’interrogation ?
Je n’abuse pas particulièrement du terme « génocide » dans mes allocutions publiques, et ce, pour plusieurs raisons.
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Dimitris Christopoulos
Dimitris Christopoulos est professeur de Sciences politiques et de droit en Grèce. En août 2016, il a été élu président de la FIDH après en avoir été pendant 3 ans vice-président.
Publié le 10 février 2017 Lecture : 4 minutes.
Bien des nations mettent en lumière les épisodes sombres de l’histoire de leurs voisines, qu’elles souhaitent qualifier de génocide. Nombre d’historiens et d’historiennes, de personnes représentant la société civile et d’activistes des droits fondamentaux abusent aussi du terme. En outre, un génocide passé offre une excuse de choix aux victimes d’autrefois pour légitimer leurs crimes présents. La victimisation a toujours ouvert la voie aux violences à venir contre celles et ceux qui incarnent l’ennemi idéal.
Ces personnes iraient jusqu’à commettre les crimes les plus épouvantables convaincues que, ce faisant, elles se protègent des crimes aussi épouvantables (voire pires) que leurs victimes s’apprêtent à commettre si elles ne les arrêtent pas. Cette approche confère donc aux génocides un caractère « préventif » : « Nous vous exterminons avant que vous ne nous exterminiez. » Le terme de « génocide », créé après la Deuxième Guerre mondiale, a depuis colonisé l’histoire et contribué notamment à la complexité inextricable et à la confusion qui règnent actuellement. De nombreux « massacres » des années 1920 sont devenus des « génocides » après coup, dans les années 1970. Les descendants des nations où ils ont eu lieu ne souhaitent pas que des actes de violence extrême entachent le récit national de leurs origines.
Et pourtant, il est manifeste que des génocides ont été commis et que d’autres le seront, si nous ne les empêchons pas. Utiliser le terme de « génocide » avec parcimonie ne signifie pas nier le fait. Il implique une réflexion critique sur les opportunismes de discours des États. Voilà pourquoi il est si difficile de trouver le point d’équilibre entre un discours reposant sur l’omniprésence génocidaire et le déni du génocide.
Que se passe-t-il ?
Que se passe-t-il si en menant une enquête dans un pays vous constatez un risque de génocide : escalade de la tension politique, violations massives des droits fondamentaux, mobilisation criminelle des autorités, meurtres commis par des milices paramilitaires et ethnicisation des divisions politiques. Que se passe-t-il lorsque l’ennemi interne n’est plus un simple dissident politique, mais toute une ethnie, menacée à ce titre ? Que se passe-t-il lorsque les autorités exigent des fonctionnaires qu’ils révèlent leur origine ethnique ? Que se passe-t-il dans un pays qui se referme sur lui-même et sur une économie déjà dévastée, dont la moitié de la population souffre de maladies comme le paludisme ? Que se passe-t-il lorsqu’une nation en relisant son histoire comprend qu’une guerre civile ultra-violente a tué 300 000 personnes sur une population totale de 10 millions ? Voilà la situation du Burundi !
La situation se résume à deux stratégies. La première consiste à se rassurer en se disant que « C’est la vie » et à se rendormir en paix. Vous garderez un œil sur le problème, sans vous troubler outre mesure. Après tout, le monde ne manque pas de conflits. Pourquoi le Burundi ? Dans cette stratégie attentiste, lorsque le pire scénario commencera à se déployer, vous vous mobiliserez, mais il sera trop tard. Le pire sera déjà à l’œuvre.
L’autre stratégie consiste à sensibiliser le monde pour éviter que le pire scénario ne se produise : un génocide. C’est la stratégie qu’adopte la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), qui a publié son dernier rapport relatif au Burundi en titrant « Burundi : une répression aux dynamiques génocidaires » et qui a lancé une campagne sur les réseaux sociaux intitulée « Stop this movie ».
Agir contre le fatalisme
À la veille de lancer cette campagne et de présenter notre rapport, ma principale préoccupation en tant que président de la FIDH, était d’anticiper les objections éventuelles de nos interlocuteurs. Qu’ils représentent le Conseil de sécurité ou d’autres agences des Nations unies, n’allaient-ils pas nous reprocher de lancer une fausse alerte ? De manière surprenante, leur réaction a été toute autre ! Personne ne nous a reproché de nous tromper ou d’aller trop loin. Nos interlocuteurs nous ont répondu : « Nous savons que la situation empire dangereusement. Nous savons que le pire scénario se dessine de manière plausible. Cependant, la division politique au sein du Conseil de sécurité ou l’immobilisme de l’Union africaine ne nous permettent pas d’agir. »
Nous dénonçons ce message fataliste. Au Burundi, les plus hautes sphères du pouvoir s’apprêtent à utiliser tous les moyens possibles pour mettre en œuvre leur plan politique et démanteler les progrès entérinés par les Accords d’Arusha. Cela passe par l’instrumentalisation des antagonismes ethniques, le fait de semer la terreur et la défiance et d’attiser la rancœur dans la population. La population est-elle prête à céder à cette manipulation ? La réponse reste incertaine. Ce qui est vérifié, en revanche, c’est que l’appareil d’État poursuit son objectif sans relâche. Chaque jour, le pays se referme un peu plus sur lui-même. Son ou ses dirigeants essaient juste de gagner du temps dans leurs relations avec l’étranger. Nous devons leur reconnaître cette compétence éprouvée.
La taille et l’insignifiance apparente du pays à l’échelle internationale ont jusqu’à présent grandement facilité la mise en place des politiques répressives du président
La routine politique africaine n’a plus cours au Burundi. La taille et l’insignifiance apparente du pays à l’échelle internationale ont jusqu’à présent grandement facilité la mise en place des politiques répressives du président.
Sa petite taille et son insignifiance apparente expliquent aussi que le Burundi n’est pas un pays pour lequel les pays de tradition anti-interventionniste siégeant au Conseil de sécurité des Nations unies risqueraient en pleine conscience un véto sur une résolution en mettant une forte pression sur ses autorités. Au final, plus nous agissons tôt, moins nous aurons à agir. L’autre scénario, agir après les dégâts, se révèle toujours plus douloureux, en particulier pour les personnes qui défendent la souveraineté de l’État. J’appartiens résolument à ce groupe-là, mais défendre la souveraineté de l’État ne va pas sans conditions.
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