Côte d’Ivoire : les souscripteurs lésés de l’agrobusiness menacent de descendre dans la rue

Attirés par de juteux profits et des retours sur investissements compris entre 300% et 1 000%, près de 37 000 personnes auraient souscrit à des investissements dans des sociétés de l’agroalimentaire. Problème : les autorités ivoiriennes en soupçonnent aujourd’hui une partie d’avoir organisé une vaste escroquerie. Une grande manifestation des souscripteurs est prévue à Abidjan le 18 février.

Plants de cacaoyers à Pokola. Photo d’illustration. © Muriel Devey Malu-Malu

Plants de cacaoyers à Pokola. Photo d’illustration. © Muriel Devey Malu-Malu

Publié le 13 février 2017 Lecture : 4 minutes.

Ils sont chefs d’entreprise, chômeurs ou petits commerçants. De l’avis de certains, de grands commis de l’État feraient également partie de ces quelque 37 000 souscripteurs ayant investi dans l’une des 28 entreprises dites d’agrobusiness désormais dans le collimateur des autorités.

Après que le procureur de la République a gelé les comptes de ces sociétés à la mi-janvier, la colère est montée d’un cran chez des milliers de petits investisseurs, à qui des retours sur investissements (RSI) particulièrement juteux avaient été promis. Craignant de ne pas récupérer leur argent, bon nombre prennent désormais l’État à témoin.

L’État nous a donné confiance.

« Nous ne sommes pas contre une enquête car nous sommes conscients que certaines de ces entreprises ne sont pas sérieuses, mais les investigations auraient pu être menées sans bloquer nos RSI », déplore Guy Roland Nahounou, gérant d’une agence de marketing et secrétaire d’organisation du Syndicat des investisseurs indépendants de l’agrobusiness en Côte d’Ivoire (SIIABCI).

Comme les 37 000 autres souscripteurs, le trentenaire a été séduit par les juteux profits promis. C’est ainsi que début 2016, il investit 3,7 millions de francs CFA (5 640 euros) pour des plantations de tomates. « Six mois plus tard, quand j’ai reçu mon RSI, je l’ai pris en photo tellement je n’en croyais pas mes yeux », poursuit-il en brandissant le cliché sur son smartphone : un chèque de 10,368 millions de Francs CFA. Soit près de trois fois sa mise de départ. Guy Roland Nahounou réinvestit donc, cette fois à hauteur de six millions pour des hectares de choux et de piments antillais. « Je dois recevoir plus de 30 millions le 29 avril prochain », espère-t-il toujours, malgré le blocage des comptes.

D’autres en veulent à l’État de leur avoir donné confiance en ces sociétés. « Si nous avons investi, c’est parce que quelque part, l’État a associé son image à ces entreprises et nous a donné confiance. Des publicités pour Monhévéa.com étaient diffusées à la télévision nationale », ne décolère pas un autre souscripteur, Paulin Gnahoua. À 31 ans, ce dernier a vendu son petit commerce de gaz à Yopougon pour tout investir dans Monhévéa.com. « Je n’ai pas reçu mon deuxième RSI, maintenant je n’ai plus rien pour vivre », explique-t-il.

Colère contre les banques

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Certains sont dans des situations encore plus précaires. C’est le cas de Guizo, 35 ans, qui préfère rester anonyme. Il y a encore trois ans, ce dernier vendait des téléphones à Abobo, au nord d’Abidjan, jusqu’à ce que les politiques de déguerpissement aient raison de son commerce.

Privé de sa première activité, Guizo réinvestit ses économies dans Monhévéa.com, la plus connue des 28 sociétés incriminées, remisant à chaque fois une partie du RSI touché. De 875 000 francs CFA placés en 2014, l’ancien petit commerçant a perçu près de 11 millions lors de son dernier versement. De quoi améliorer son train de vie, louer une maison, payer les frais de gardiennage, ou encore un abonnement à une chaîne cryptée.

Mais en novembre dernier, le versement des 24 millions attendus n’est jamais venu. Depuis quatre mois, ce père de famille est désormais dans l’incapacité de payer son loyer. « Si je ne trouve pas l’argent à la fin du mois, je serai expulsé. Dans ce cas, j’irai dormir devant le palais pour me faire entendre », assure-t-il.

Leur colère est également dirigée contre certaines banques, accusées d’avoir encouragé leurs épargnants à investir dans ces sociétés. Mais aussi de rechigner à accorder des prêts, poussant ainsi les petits investisseurs vers ce type de placements. « Les banques ne jouent pas leur rôle et ne nous prêtent pas pour mener nos activités, c’est aussi pour cette raison que nous sommes si nombreux à avoir investi dans l’agrobusiness », dénonce Guy Roland Nahounou, rapportant un appel lancé pour organiser une grande manifestation des souscripteurs à Abidjan le 18 février. Avant de poursuivre, en référence aux récentes mutineries dans les casernes ivoiriennes : « si nous avions des armes comme les militaires, le gouvernement nous aurait déjà écouté ».

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66 milliards de CFA engagés par les souscripteurs

La longévité de ces entreprises interpelle également ces petits investisseurs. Car si la machine s’est brutalement grippée en septembre dernier après un signalement des autorités, certaines de ces sociétés, dont Monhévéa.com, opèrent depuis 2008.

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Cause de leur succès : les profits très lucratifs promis aux souscripteurs ayant investi dans des hectares de piments, tomates, choux et autres denrées agricoles en contrepartie de retours sur investissement (RSI) compris entre 300 et 1 000% au bout de seulement quelques mois. Un placement tellement juteux que 36 699 personnes y ont souscrit, selon les conclusions d’un groupe de travail diligenté en novembre 2016 par les autorités.

Les sommes en jeu sont conséquentes : selon cette même enquête, les souscripteurs auraient engagé au total près de 66 milliards de francs CFA, soit plus de 100,6 millions d’euros, pour des promesses de retours sur investissement chiffrées à hauteur de 660 milliards de francs CFA (plus d’un milliard d’euros).

Soupçons de système pyramidal

Loin des champs de tomates et de piments, l’étude dénonce au contraire un système financier basé sur la pyramide de Ponzi. Le principe : utiliser l’argent des investisseurs les plus récents pour rémunérer les premiers entrants. « Les RSI payés aux souscripteurs ne proviennent pas des revenus issus de la vente des récoltes mais plutôt des nouvelles souscriptions », soulignait fin janvier le porte-parole du gouvernement, Bruno Koné, dévoilant ainsi les conclusions de l’étude commandée par les autorités.

Conséquence : le procureur de la République a gelé des comptes de ces entreprises, bloquant ainsi le paiement des retours sur investissement (RSI). Plusieurs dirigeants et cadres des sociétés incriminées ont été entendus par la justice. Christophe Yapi, à la tête de Monhévéa.com, avait entre-temps pris soin de quitter le pays. Depuis, ce dernier s’est défendu dans une vidéo publiée sur YouTube, dans laquelle il rejette toute accusation d’escroquerie. Si certains souscripteurs le soutiennent toujours, d’autres ont regretté que ce dernier ne soit pas rentré en Côte d’Ivoire pour s’expliquer, notamment lors du débat organisé à la télévision nationale le 7 février dernier.

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