Élection présidentielle en France : la fin du prêt-à-penser politique
Nous sommes en train d’assister à une séquence fascinante. Le monde change encore plus vite qu’on ne le pense. Les grilles de lecture jusqu’ici en vigueur ne suffisent plus à en décrypter les mutations.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 13 février 2017 Lecture : 3 minutes.
Mondialisation accélérée, bouleversement du monde du travail sous l’effet de la révolution numérique et de la robotisation, flux migratoires ininterrompus bousculant les identités nationales et les modes de vie locaux, équilibres géopolitiques chamboulés, surinformation instantanée et planétaire, émergence généralisée de mouvements citoyens pour pallier l’incurie des partis politiques traditionnels, aspiration de plus en plus forte au changement… sans que l’on sache précisément lequel.
Nos certitudes volent en éclats. Et les clivages anciens, fondés sur la ligne de fracture entre la droite et la gauche, aussi. Bref, plus rien n’est acquis ni ne va de soi. Comme l’ont éloquemment montré le Brexit et l’élection de Donald Trump.
Surprise
Il en va de même pour la présidentielle française. Il n’y a pas si longtemps, l’affaire concernait trois ou quatre candidats majeurs, qui représentaient leurs familles politiques respectives articulées autour de l’axe gauche-droite et de leurs extrêmes. Les favoris étaient connus à l’avance et s’imposaient sans peine dans leur camp. Notamment quand le président sortant concourait à sa propre réélection. Ce temps est révolu.
Il n’est qu’à voir la configuration sans précédent de l’édition 2017, qu’avait d’ailleurs préfigurée celle de 2012 : deux primaires, une à gauche, une à droite, où s’affrontent un ancien président et deux anciens Premiers ministres, sans cesse sur le gril, dont les faits et gestes sont scrutés en permanence, qui doivent défendre bec et ongles leurs programmes, apporter des idées neuves, débattre, répondre aux attaques.
À droite, Alain Juppé était donné gagnant. Ou Nicolas Sarkozy. Patatras ! C’est François Fillon qui sort du chapeau et voit s’ouvrir devant lui une voie royale vers l’Élysée… avant de se prendre aussitôt les pieds dans le tapis rouge. Re-patatras ! À gauche, le scénario est tout aussi rocambolesque. François Hollande, le candidat « naturel », est annoncé sur la ligne de départ. Eh bien non ! Le voilà qui jette l’éponge. La primaire se déroulera sans lui.
On imagine Manuel Valls l’emporter sur Arnaud Montebourg. Que nenni. Le second est éliminé dès le premier tour et le premier est balayé par Benoît Hamon. Ajoutons à ce cocktail détonant la fusée Emmanuel Macron, le « révolutionnaire » Jean-Luc Mélenchon, peut-être François Bayrou et, bien sûr, la favorite du premier tour (mais pas du second), Marine Le Pen. Une offre politique aussi inédite que son casting.
Optimisme
Autre nouveauté, compte tenu du contexte anxiogène – sentiment exacerbé de déclassement, crise économique, chômage, périls extérieurs, Europe en berne, identité nationale chahutée, menaces environnementales et sanitaires –, l’apparition d’un sentiment dont on ne pensait plus les Français capables : l’espoir. Évidemment pas de manière généralisée, mais tout de même, on le sent poindre ici et là, dans un pays qui, depuis François Mitterrand, se vautre volontiers dans le pessimisme, la nostalgie et la culture de la peur.
Cet espoir se cristallise, à tort ou à raison, là n’est pas le propos, autour de deux candidats : le socialiste Benoît Hamon et l’inclassable Emmanuel Macron.
Utopie, idéalisme, populisme ? Peu importe. Tous deux suscitent chez une partie des Français un optimisme certain, fondé sur l’idée de renouvellement d’une politique aujourd’hui vidée de toute substance, de toute pensée novatrice. Une politique désuète, obsolète, incapable d’évoluer et de s’adapter, qui répugne de toute son âme à regarder loin et à remettre en question les dogmes du monde ancien.
Un futur « désirable »
Tous deux incarnent la « promesse » d’un futur meilleur – « désirable », comme le dit Hamon –, d’une société apaisée, d’un chemin inexploré et d’une vision nouvelle. Non pas, comme la plupart des autres candidats, en jouant sur les peurs, quelles qu’elles soient, et en se présentant comme les seuls remparts crédibles contre le déclin, mais en instillant l’inverse, à savoir l’espérance.
Aventure exaltante pour les uns, angoissante pour les autres, le bouleversement global des paradigmes auquel nous assistons en ce moment a cependant un grand mérite, celui de nous contraindre enfin à repenser notre avenir en essayant d’enjamber les frontières physiques comme psychologiques qui, tels des Épictète des temps modernes, nous ont longtemps imposé un prêt-à-penser politique aujourd’hui sans issue.
Nos certitudes volent en éclats, les clivages anciens aussi. Plus rien n’est acquis ni ne va de soi.
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