Peuple tunisien, le 23 novembre, la parole est à toi !

Publié le 12 novembre 2014 Lecture : 5 minutes.

Dr Basly Mohamed Sahbi est un ambassadeur et diplomate tunisien.

Depuis le 14 janvier 2011, le monde entier, curieux puis intéressé, s’est finalement réjoui du succès politique de la Tunisie, comparé au désastre politico-économique dont le monde Arabe a été le théâtre depuis que le vent du Printemps arabe a soufflé dans la région.

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Faut-il s’en féliciter ? Oui certainement, mais il faut également tirer les conclusions nécessaires pour que ce qui s’est passé le 14 janvier 2011 ne se reproduise plus en terre d’Hannibal. À l’analyse sémiologique du résultat des élections législatives du 26 octobre 2014, il m’est permis d’apporter les conclusions suivantes :

1/ Le Tunisien n’a pas fondamentalement changé son comportement au regard de la chose politique, il a préféré la sécurité à la liberté même s’il pense, à tort, qu’il jouit de manière utile de cet acquis politique dont il fut privé pendant 60 années. Le résultat du vote a reflété également une vérité qu’on essaye d’occulter : le peuple a faim. Ce qui a permis à certains de qualifier le résultat obtenu "d’élections du ventre creux et de la précarité sociale".

2/ Que la Tunisie éprouve toujours le besoin d’être dirigée par un homme qui tienne lieu de boussole ou de phare, qui l’éclaire, sache lui parler comme le faisait Habib Bourguiba et la fasse rêver. Elle semble l’avoir retrouvé en Béji Caïd Essebsi, occultant, comme elle le fit avec "Si Lhabib" en son temps, ses limites ou ses défauts.

3/ Ces résultats ont également consacré Ennahdha, deuxième parti derrière Nida Tounes. Il faut tenir compte de cette force politique qui se réclame de l’islam politique. Elle représente cette frange populaire, près de  15 % de la population générale, qui fut marginalisée, occultée et combattue par les régimes en place depuis les années 1970. Elle a ainsi revendiqué son identité dans le paysage politique tunisien et continuera de ce fait à se battre pour ses idées.

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4/ Ces élections ont eu lieu après trois années de palabres souvent inutiles et de querelles médiatiques de pacotille, souvent encouragées par un aéropage de journalistes très peu expérimentés, qui, croyant bien faire, ont embrumé les esprits en faisant accoucher leurs interlocuteurs de discours politiques superficiels. En sus, parmi les politiciens en question, certains étaient eux aussi novices dans l’arène politique. Révolutionnaires autoproclamés, ils sont pour beaucoup les produits d’une formation accélérée en politique depuis le 14 janvier 2011.

Ces élections ont fort heureusement sanctionné ces mêmes personnes qui ont bercé nos longues soirées devant la télévision avant et pendant la campagne électorale. On peut donc s’attendre à ce que de nouvelles têtes prennent la relève dans le panorama médiatique d’après les élections, du moins si l’on souhaite assister désormais à un débat dépassionné et donc plus constructif pour les citoyens que nous sommes.

Ces élections ont permis à la Tunisie de se hisser au rang des pays engagés sur la voie de la démocratie.

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5/ Ces élections sont également l’aboutissement de trois années d’errements et d’échecs sur les plans politique, économique, social et diplomatique. Seule satisfaction, et de taille, je le concède, est d’avoir doté la Tunisie d’une Constitution honorable. Il s’agit d’un acquis indéniable qu’il faut défendre à tout prix.

Quand elles seront terminées, ces élections auront occasionné des dépenses directes et indirectes qui finiront par creuser le gouffre financier dans lequel se trouvait déjà la Tunisie. Une situation qui risque de maintenir le pays, pour de nombreuses années encore, dépendant des institutions financières internationales.

6/ Ces élections ont permis à la Tunisie de se hisser au rang des pays engagés sur la voie de la démocratie. L’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), assistée par des ONG internationales, n’a pas du tout démérité. Elle peut se targuer d’avoir permis la tenue d’un scrutin libre et indépendant, permettant au pays de s’engager fièrement dans une nouvelle phase de son histoire politique moderne, celle de la deuxième République tunisienne.

7/ Ces élections reflètent aussi le rejet du totalitarisme et du retour au parti dominant. En effet aucun parti ne peut se targuer de former un gouvernement seul, même avec des coalitions de circonstances, fragiles et peu durables. Seul le partage du pouvoir entre Nida Tounes et Ennahdha pourrait conférer une majorité confortable au Parlement, mais il s’avère peu réaliste dans l’état actuel des choses. Reste alors la formule magique du consensus qui a donné par le passé des réponses à la Tunisie en temps de crise, mais cette approche séduisante peut ne pas convenir au parti gagnant qui serait alors amené à négocier des portefeuilles, ce qu’il ne souhaite probablement pas.

8/ Il faut également souligner la débâcle des partis de souche destourienne, qui se lit comme une sanction contre l’ancien régime sous toutes ses formes. Seul Nida Tounes, qui a largement profite du réseau RCD, a pu se frayer un chemin et créer la surprise. Une victoire rendue possible, il faut l’avouer, par la personnalité de son leader, Beji Caid Essebsi. La mouvance destourienne – hors Nida Tounes – a manqué ces élections pour plusieurs raisons. Elle a péché par :

– son incapacité à s’unir, par la faute de leurs leadership respectifs. 

– son incapacité à purger les erreurs de l’ancien régime, et à s’intégrer dans la dynamique révolutionnaire de l’après 14 janvier 2011 comme une force politique libérée de toute entrave.

– son comportement politique qui n’a pas particulièrement changé, encore imprégné par la culture du parti unique, avec pour corollaire l’exclusion, le discours unique et l’incapacité de léguer son patrimoine réformateur à des jeunes cadres.

Le terrorisme disparaîtra le jour où le pays se remettra à travailler.

9/ Au regard du résultat de ces élections préliminaires, il y a lieu de réfléchir à l’élection présidentielle qui doit impérativement amener à Carthage un vrai rassembleur. Cet homme indépendant sera réellement au-dessus des partis, il devra faire preuve de force de caractère et être en mesure d’abattre un travail gigantesque pour soigner les maux qui rongent notre société depuis plusieurs années : le chômage, la précarité sociale, l’inégalité sociale et régionale, l’insécurité… Cet homme existe, il est parmi nous. Il faut juste le voir et ne pas sombrer dans la fatalité qui persiste à dire "tant pis, on choisira un tel ou untel et on verra par la suite". Cette attitude est néfaste et ne dénote pas d’un degré de patriotisme élevé. Mais la Tunisie de Bourguiba recèle de valeureux patriotes à même de relever les défis auxquels le pays est confronté aujourd’hui.

>> Lire aussi : la Tunisie en campagne pour la première présidentielle de l’après-révolution

Quant au terrorisme, thématique si présente dans la bouche des candidats, dont certains ne connaissent même pas les tenants et les aboutissants, il disparaîtra le jour où le pays se remettra à travailler. Ce terrorisme disparaîtra le jour où le grand timonier de la barque Tunisie saura protéger tous ses citoyens de la fureur des vagues d’une mer agitée. Il disparaîtra lorsque la haine et la rancune disparaîtront à jamais du coeur et de la tête d’une classe politique en panne d’idées. Il disparaîtra quand cette classe politique saura influencer jusqu’à l’identité même du citoyen tunisien, connus pour sa tolérance, son éducation et son savoir-faire.

 

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