Grâce à la CPI, l’étau de la justice se resserre autour des dictateurs africains
Lors du dernier sommet de l’Union Africaine qui s’est achevé à Addis-Abeba le 31 janvier, une résolution demandant un « retrait collectif» de la Cour Pénale Internationale (CPI), a fait l’objet d’une opposition vigoureuse de la part du Nigeria, du Sénégal et du Cap-Vert. De nombreux pays ont aussi réitéré leur engagement vis-à-vis de la Cour.
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Aïcha Elbasri
Autrice marocaine et ancienne porte-parole de la Mission de l’Union africaine et des Nations unies au Darfour (Minuad), elle est aussi lauréate du prix Ridenhour Truth-Telling (prix Ridenhour dans la catégorie révélation de la vérité) 2015
Publié le 17 février 2017 Lecture : 3 minutes.
L’issue de cette crise décidera non seulement du futur de la Cour, mais aussi de l’avenir de l’Afrique à l’heure où ses despotes font l’objet d’extraditions, de poursuites judiciaires et d’exils forcés.
Sur la longue liste des dictateurs africains sommés de quitter le pouvoir et le pays, Yahya Jammeh est le dernier en date. Après 22 ans de dictature, le président déchu s’est réfugié en Guinée équatoriale.
Force est de constater que le départ de Jammeh a préservé le pays des affres de la guerre. C’est ce qui fait de l’exil des dictateurs une vieille tradition qui a largement contribué à mettre fin à des guerres meurtrières. Mais les opportunités d’asile ont diminué et les conditions d’accueil ont bel et bien changé.
C’est ce qu’a souligné une étude menée récemment par Abel Escribà-Folch et Daniel Krcmaric et qui sera publiée sous peu dans Journal of Politics, une revue académique américaine. Selon le résumé de cette étude, l’examen des destinations de 98 anciens dictateurs qui avaient pris le chemin de l’exile entre 1946 et 2012, a révélé que les États-Unis, l’URSS/Russie, le Royaume-Uni, l’Argentine et la France se plaçaient en tête des pays d’accueil.
Les despotes chassés du pouvoir avaient l’habitude de chercher refuge chez les grandes puissances, notamment celles qui avaient colonisé leur pays, précisent les chercheurs.
À cette époque, l’ancien président philippin Ferdinand Marcos s’est vu accorder par les États-Unis une retraite paradisiaque à Hawaï et où l’ex-dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier a pu passer 25 ans d’exil en France sans se soucier de la validité de son titre de séjour.
Mais la fin de la Guerre froide a sonné le glas de l’ère de l’exil doré en Occident, obligeant les dictateurs en quête d’asile à éviter les pays démocratiques. En effet, chassé de Tunisie et lâché par la France, l’ex-président tunisien Zinedine Ben Ali a échoué en Arabie Saoudite.
L’étude attribue ce revirement à l’essor de la culture des droits de l’homme, à la multiplication des organismes de défense de ces droits et à la création de tribunaux internationaux dont la CPI.
Les dictateurs africains dos au mur
C’est surtout en Afrique où les dictateurs se trouvent le plus le dos au mur. La chute de l’ex-président libérien Charles Taylor, premier chef d’État condamné par la justice internationale en juin 2012 à 50 ans de prison, n’a fait que resserrer l’étau autour des dictateurs africains déposés par leurs peuples ou lâchés par leurs protecteurs.
Longtemps traqué par ses victimes, l’ex-président tchadien Hissène Habré a finalement été condamné en mai 2016 à la prison à perpétuité pour crimes contre l’Humanité et crimes de guerre. Le mois suivant, l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba a été condamné par la CPI à 18 ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Le président soudanais Omar el-Béchir sait bien que sa liberté est provisoire.
La liste des accusés qui comme l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, attendent d’être jugés par la CPI est bien longue. Sous le coup de deux mandats d’arrêt de la CPI pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, le président soudanais Omar el-Béchir sait bien que sa liberté est provisoire, son impunité menacée.
De même pour Jammeh. Son exil en Guinée ne lui garantit aucune immunité d’autant plus que sa décision de faire sortir la Gambie de la CPI vient d’être annulée par son successeur, le président Adama Barrow. Et le vice-président de son pays hôte, Teodorin Obiang, est poursuivi en France dans l’affaire des « biens mal acquis » dans le cadre de la chasse aux trésors des dictateurs.
En effet, il y a de quoi outrager les despotes qui n’ont pas réussi à obtenir du tribunal l’annulation du mandat d’arrêt visant el-Béchir ni l’immunité pour les présidents en exercice.
Au-delà des slogans anti-colonialistes, la guerre que mènent certains dirigeants africains contre la CPI n’aurait pas eu lieu si la Cour s’était pliée à leur unique demande : celle de l’impunité.
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