Attentat de Sousse : ce qui ressort de l’enquête publique menée à Londres
Une enquête publique et indépendante, destinée à établir les conditions de l’attaque terroriste survenue le 26 juin 2015 à Sousse, en Tunisie, a démarré lundi 16 janvier à Londres. Où en est-elle ? Jeune Afrique fait le point.
Revendiquée par l’organisation jihadiste État islamique (EI), l’attaque avait fait 38 morts dont 30 Britanniques et trois ressortissants irlandais.
Lors des auditions menées dans le cadre de l’enquête publique britannique, la parole a été donnée aux victimes, aux témoins et proches des défunts anglais, aux avocats des victimes, à des membres du groupe touristique TUI, ou encore à des experts balistiques et médicaux. Le résumé d’un rapport écrit par le juge tunisien Lazhar Akremi au terme de l’enquête menée par la Tunisie a également été lu à la Cour royale de justice.
Voici ce que révèle – ou rappelle – l’enquête en question, à ce jour.
- Un pays « 100% sûr » vendu aux voyageurs
Plusieurs survivants de l’attaque ont affirmé que des agents de voyage du groupe TUI leur avaient assuré avant leur départ que la Tunisie était un pays « 100% sûr ». L’avis émis par le ministère britannique des Affaires étrangères (FCO) concernant un risque terroriste « élevé » − quatre mois après l’attaque du musée du Bardo − n’aurait pas été porté à la connaissance des agences de voyage, indiquent-ils. TUI détient le tour-opérateur Thomson holidays, via lequel les 30 défunts britanniques avaient réservé leurs vacances.
Sur place en Tunisie, « nous voulions renforcer la sécurité en général, mais nous ne voulions pas effrayer les touristes avec une armée de policiers », a indiqué quant à lui devant la Cour royale de justice Venancio Lopez, de l’agence Tunisie Voyages (groupe TUI).
Nous ne voulions pas effrayer les touristes avec une armée de policiers.
S’exprimant également à Londres le 19 janvier, Jacque Reynolds, le directeur risques et conformité du groupe TUI au Royaume-Uni a par ailleurs soulevé que « TUI n’avait pas mené d’études régulières de la menace sécuritaire dans les hôtels avant l’attaque de Sousse. Les seuls comptes-rendus sécuritaires [pour les hôtels] ayant été commandés avant cette attaque concernaient l’Égypte ».
- « Ma meilleure chance de survivre était de faire la morte »
Neuf jours de l’enquête publique ont été consacrés à la mort des 30 touristes britanniques, appuyés par les témoignages poignants de leurs proches.
Allison Heathcote, alors âgée de 48 ans, était par exemple en vacances à l’Imperial Marhaba hôtel à Sousse avec son mari Philip pour fêter leurs 30 ans de mariage. Au moment de l’attaque, ils bronzaient tous deux sur des transats sur la plage, lorsque les premiers coups de feu ont retenti. Touchée au niveau du ventre, Allison a appelé à l’aide pendant que les gens autour d’elle hurlaient et tentaient de fuir.
Au retour du tueur, « je suis restée allongée sur le sable, essayant de rester immobile pour ne pas montrer que j’étais encore vivante. Je me suis rendue compte que ma meilleure chance de survivre était de faire la morte », raconte-t-elle. « Dès que je le pouvais, je demandais à Phil s’il allait bien. Pas de réponse, et j’ai su qu’il n’avait pas survécu. »
Elle m’a dit qu’elle m’aimait et je lui ai dit que je l’aimais aussi.
Liam Moore, lui, raconte comment sa petite amie depuis 11 ans, Carly Lovett (24 ans), est morte dans ses bras. Quittant la piscine extérieure pour se réfugier dans les couloirs de l’hôtel, ils ont cherché une pièce dans laquelle se réfugier quand soudain a retenti « un énorme boum ». Probablement une grenade, a pensé Liam. Cherchant Carly du regard, il la voit « allongée face contre le sol devant un des bureaux » de l’hôtel. Il l’a prise dans ses bras et a désespérément tenté de la ranimer. Mais elle saignait beaucoup. « Elle a dit qu’elle ne pouvait plus bouger ses jambes, elle perdait connaissance, elle m’a dit qu’elle m’aimait et je lui ai dit que je l’aimais aussi. »
- Retards « injustifiables » des forces de sécurité tunisiennes
Lors d’une des audiences à Londres, Andrew Richie, avocat de 20 familles de victimes, a souligné qu’un rapport tunisien, remis au gouvernement britannique six mois avant l’attentat perpétré le 26 juin 2015, avait pointé des failles dans la sécurité de la zone où sont implantés les hôtels de Sousse. Ce rapport avait été rédigé après une attaque-suicide fin 2013 sur la plage d’un hôtel de la ville, qui n’avait tué que son auteur.
Des failles que le rapport du juge tunisien Lazhar Akremi est venu ensuite confirmer, en pointant les retards « délibérés et injustifiables » pris par les forces de sécurité tunisiennes pour arriver sur les lieux de l’attaque. Il révèle qu’une équipe armée de la police touristique, jugée capable de mettre fin à l’attaque, a mis « plus de 30 minutes » à arriver sur place au lieu des « pas plus de 3 minutes » nécessaires. Le chef d’équipe aurait décidé de s’arrêter dans un commissariat pour récupérer plus d’armes et des gilets par balles.
Le refus d’intervenir pour arrêter l’attaque terroriste relève tout simplement de la lâcheté.
Aucun des « garde-côtes, des patrouilleurs en quads sur la plage, des policiers à cheval et de la patrouille près de la zone visée » ne se trouvaient à plus de cinq minutes. « Le refus d’intervenir pour arrêter l’attaque terroriste relève tout simplement de la lâcheté, alors qu’ils auraient pu empêcher la perte de plusieurs vies », a déclaré le chef des opérations pour le nord de Sousse. Des équipes de télévision sont même arrivées avant les autorités, a fait remarquer un témoin.
Toujours d’après ce rapport, lu devant la Cour royale de justice à Londres, deux gardes maritimes, pourtant armés eux aussi, ont failli dans leur tentative d’arrêter le tueur. L’un d’entre eux s’est évanoui, l’autre « a entrepris de se débarrasser de son uniforme et s’est mêlé à la foule de spectateurs. »
- Le tueur sous l’emprise d’une drogue
Le 8 février, l’audience est revenue sur le profil du tueur, Seifeddine Rezgui, rappelant qu’il a finalement été tué de 20 balles dans le corps, d’après un examen post mortem. Des tests toxicologiques ont également révélé la présence d’une drogue ayant pour principaux effets « une sensation d’épuisement, une agression et une colère extrême qui mènent à commettre des meurtres. » Autre effet de cette drogue : l’amélioration « des performances physiques et mentales. »
L’enquête publique devrait se poursuivre jusqu’à la fin du mois. Aucune enquête criminelle n’est menée au Royaume-Uni concernant l’attaque de Sousse, a rappelé le détective surintendant en chef Mark Gower, qui précise que le Metropolitan Police Service (la force de police la plus importante du Royaume-Uni) ne fait qu’apporter son assistance dans l’enquête tunisienne.
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