Des pensions pour nos écrivains marocains !
Cette année, le Maroc est l’invité d’honneur du Salon du livre de Paris, au mois de mars. Une liste officielle d’une trentaine d’auteurs (écrivant en arabe, en tamazight ou en français) a été établie : ils seront les hôtes privilégiés de cette manifestation.
Quand j’ai appris la bonne nouvelle, j’ai tout de suite pensé à une anecdote qui figure dans le Journal de Matthieu Galey, que Laffont a eu la bonne idée de rééditer dans la collection « Bouquins ». On la trouve, cette anecdote, page 205.
Un jour, au début des années 1940, Jean Genet va rendre visite à Marcel Jouhandeau, une des gloires littéraires de l’époque. Genet, qui a à peine 30 ans, révèle à son aîné qu’il vient d’écrire un livre et qu’il entend désormais vivre de sa plume. L’autre fait la moue et répond : « Mon jeune ami, la littérature ne nourrit pas son homme. Gardez votre premier métier. » Quelques mois plus tard, Jouhandeau reçoit une lettre de Genet envoyée de la prison de la Santé, à Paris : « J’ai suivi votre conseil, j’ai continué à voler mais je me suis fait prendre. Pourriez-vous m’envoyer des colis ? »
Nous, écrivains marocains, avons tous un autre métier
Non pas que nous autres, écrivains marocains, en soyons réduits à faire les poches de nos concitoyens, mais enfin, à une glorieuse exception près, je ne connais aucun confrère qui vive de sa plume : nous avons tous un autre métier. La production s’en ressent. Étonnez-vous que nous n’ayons encore jamais décroché un Nobel. Nos quatre Goncourt, c’est déjà miraculeux…
Que faire ? Eh bien, réinventons le XVIIe siècle : chacun des classiques de ce siècle – Racine, Molière, Boileau, La Fontaine – était « pensionné » (on dirait aujourd’hui sponsorisé) par un prince ou un noble. Ce qu’il faudrait, c’est que les grosses fortunes de l’Empire chérifien fassent aujourd’hui de même avec les écrivains.
Donner de la voix à la littérature marocaine
Je vois bien l’Office chérifien des phosphates sponsoriser le roman naturaliste (il y a du Germinal dans les mines de phosphate, je peux en témoigner) ; la plus grande banque du pays, Attijariwafa Bank, « pensionnerait » les auteurs de romans genre L’Argent du Zola local ; l’ami Hassad, ministre de l’Intérieur, donnerait un coup de pouce aux romans policiers, ça va de soi (l’un des meilleurs auteurs de polars au Maroc est d’ailleurs un ancien commissaire de police que nous avions surnommé « Columbo » quand il sévissait chez nous, à El Jadida). Et pour la prose régionale, Akhannouch prendrait sous son aile les auteurs du Souss, Tazi déverserait sa manne sur les Casablancais (de gauche), Lamrani financerait les Fassis, etc. Quant aux écrivains rifains (qui vivent tous en Hollande), ils viendraient tendre la sébile sous le nez d’Ilyas El Omari.
Si tous ces gens-là prenaient notre proposition au sérieux, la littérature marocaine prendrait enfin son envol. Et l’appel de Stockholm finirait bien par retentir un jour, réveillant éberlué et ravi un auteur dûment « pensionné » par une banque, une entreprise ou un grossium local, qui profiteraient aussi des éclaboussures de la gloire venue de Scandinavie. Vous voyez d’ici le beau slogan : « Attijari, la banque des Nobels »…
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