RDC – CPI : comprendre le procès Bemba en 5 questions
Après les déclarations finales mercredi et jeudi de l’accusation et de la défense, l’affaire Bemba est désormais mise en délibéré. En attendant le verdict, retour en cinq questions sur un procès qui s’est ouvert en 2010.
C’est l’une des procédures judiciaires les plus longues de l’histoire de la Cour pénale internationale (CPI). Depuis son arrestation le 24 mai 2008 par la police belge et sa remise à La Haye, Jean-Pierre Bemba attend toujours l’épilogue de son procès.
Détenu à la prison de Scheveningen, dans la banlieue de La Haye, Jean-Pierre Bemba, leader du Mouvement pour la libération du Congo (MLC, parti d’opposition) et ancien vice-président de la RDC, est accusé de deux chefs de crimes contre l’humanité (viol et meurtre) et de trois chefs de crimes de guerre (viol, meurtre et pillage d’une ville ou d’une localité). Lorsqu’il était chef rebelle, ses hommes auraient commis ces exactions contre des civils en Centrafrique, entre 2002 et 2003, alors qu’ils y étaient envoyés pour soutenir les forces loyales au président centrafricain Ange-Félix Patassé contre la rébellion de François Bozizé.
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1. Pourquoi l’affaire Bemba a-t-elle autant traîné en longueur devant la CPI ?
"L’élasticité du procès Bemba devant la CPI tient particulièrement à la complexité même de l’affaire", confie une source judiciaire proche de la Cour. À l’en croire, plusieurs faits peuvent justifier la lenteur de la procédure engagée contre Jean-Pierre Bemba. Notamment "le décès fin avril 2009 de la juge japonaise Fumiko Saiga qui officiait au sein de la chambre préliminaire II de la CPI, ou les différentes suspensions d’audiences prononcées à la suite des motions introduites par la défense ou l’accusation – entre autres la remise en cause de la compétence de la Cour par la première et l’appel fait par la seconde de la décision de mise en liberté provisoire de l’accusé -, mais aussi la requalification des charges, le nombre des témoins appelés à la barre (40 pour l’accusation et 34 pour la défense), l’affaire de subornation des témoins, dont le principal avocat de Bemba est l’un des suspects …"
Le procureur n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve contre Bemba.
Me Aimé Kilolo, ancien principal conseil de Jean-Pierre Bemba
Contacté par Jeune Afrique depuis La Haye où il est allé assisté aux déclarations finales du procès, Me Aimé Kilolo, ancien conseil principal de Jean-Pierre Bemba, aujourd’hui soupçonné dans une affaire de subornation des témoins, donne un tout autre son de cloche. Il souligne de son côté que si la procédure engagée contre son client a autant traîné, "c’est avant tout à cause du balbutiement du bureau du procureur". Selon lui, "lorsque Jean-Pierre Bemba est arrêté en 2008, le dossier est vide : le procureur n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve" contre son client.
"Ce n’est qu’après l’arrestation que l’accusation a véritablement commencé des enquêtes pour tenter de charger Jean-Pierre Bemba. Cela a donc pris du temps", soutient-il, accusant même le bureau du procureur d’avoir utilisé à l’époque des "artifices juridiques" pour obtenir l’arrestation de Bemba. "Il prétendait que mon client s’apprêtait à aller s’installer dans un pays qui n’a pas souscrit au statut de Rome et que c’était l’occasion ou jamais de l’arrêter", affirme-t-il.
2. Après plus de cinq années de procédure à La Haye, les charges contre Jean-Pierre Bemba ont-elles évolué ?
C’est le niveau de la responsabilité de Jean-Pierre Bemba qui a évolué dans le dossier. "Le 3 mars 2009, les juges avaient en effet demandé au procureur de requalifier les faits", confirme notre source judiciaire au sein de la CPI. Initialement poursuivi pour sa "responsabilité individuelle" dans les exactions qu’auraient commises ses combattants en Centrafrique, Jean-Pierre Bemba est aujourd’hui seulement soupçonné d’être responsable des crimes de ses hommes "en tant que chef militaire ou supérieur hiérarchique".
Même de ce point de vue, la défense estime que les lignes ont également bougé. "On est passé d’un Bemba chef militaire qui savait que ses troupes commettaient des exactions en Centrafrique à – faute de preuves suffisantes – un Bemba qui aurait dû savoir", souligne Me Kilolo, notant que "de ce fait, l’accusation s’est amoindrie".
>> Lire aussi : "Bemba n’avait pas connaissance en temps réel du comportement de ses troupes", selon Me Kilolo
3. Quelles sont les chances de Jean-Pierre Bemba de retrouver la liberté à l’issue du procès ? Ou, à l’inverse, quelles sont les raisons de croire à son éventuelle condamnation ?
Il n’est pas impossible que la CPI condamne Bemba pour négligence.
Une source proche du dossier
"Ce n’est pas un procès simple : autant il n’est pas évident pour le procureur de démontrer, au-delà de tout doute, que les troupes du MLC envoyées en Centrafrique répondaient au commandement de Jean-Pierre Bemba, autant il n’est pas évident non plus pour la défense de démontrer que son client ne savait pas ce que ses hommes faisaient là-bas", résume notre source. "Il n’est donc pas impossible que la CPI le condamne pour négligence, c’est-à-dire pour n’avoir pas pris la décision à temps pour arrêter ces exactions."
Se refusant à tout pessimisme, Me Kilolo croit aux chances de son client de retrouver sa liberté à l’issue du procès. "Nous ne sommes pas loin d’un acquittement", confie-t-il, estimant que dans les déclarations finales de l’accusation le 12 novembre, les trois éléments constitutifs du commandement – un état-major des opérations dirigé par Bemba, la conduite des activités militaires, la fourniture des matériels – n’ont pas pu être démontrés". Avant de tacler : "Le procureur est aux abois : il n’a pas hésité à s’arranger pour faire arrêter le principal avocat de l’accusé, espérant mettre ainsi en difficulté la défense", dit-il en faisant allusion aux poursuites qui pèsent contre lui dans l’affaire de subornation des témoins.
4. La date du verdict ?
Selon plusieurs sources proches du dossier, le verdict ne pourrait pas intervenir avant trois à six mois, soit au plus tard en juin 2015.
5. Quid du nouveau procès attendu dans l’affaire de subornation des témoins ?
En attendant, la CPI a confirmé, "en partie", le 11 novembre, "les charges d’atteintes à l’administration de la justice à l’encontre Jean-Pierre Bemba, d’Aimé Kilolo [son avocat], de Jean-Jacques Mangenda, de Fidèle Babala [député du MLC] et de Narcisse Arido". Ils sont tous soupçonnés d’avoir donné de l’argent et des instructions aux témoins "afin qu’ils produisent de faux témoignages" dans le procès Bemba. Une chambre de première instance sera constituée "en temps utile" pour instruire sur cette nouvelle affaire.
Mais la Cour "a rejeté les charges apportées par le procureur concernant la production de documents faux ou falsifiés", précise un communiqué publié mardi 11 novembre sur le site de la CPI. "Ce qui consolide la défense", selon Me Kilolo. "Concrètement, il s’agit de 14 documents militaires qui prouvent que ce sont des officiers centrafricains eux-mêmes qui coordonnaient sur le terrain les activités de toutes les troupes étrangères présentes en Centrafrique aux côtés des forces loyalistes", commente-t-il. Et de conclure : "Aujourd’hui, la procédure ne peut plus contester la fiabilité de ces documents cruciaux qui innocentent Jean-Pierre Bemba…"
>> L’affaire Bemba en 10 dates <<
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Par Trésor Kibangula
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