Rusen Çakir : « C’est le pouvoir qui motive Fethullah Gülen, pas l’argent »
Auteur d’une biographie de Recep Tayyip Erdogan, Rusen Çakir vient aussi de publier un livre sur le conflit entre le gouvernement AKP et la Cemaat (ou Hizmet), la confrérie de Fethullah Gülen.
Jeune afrique : Pourquoi cette guerre entre le gouvernement et le mouvement guléniste ?
RUSEN ÇAKIR : Ce qui est surprenant, ce n’est pas la fin de leur coalition, mais qu’ils se soient un jour coalisés. L’AKP et la Cemaat ont dû s’allier contre l’armée car elle les attaquait tous les deux en même temps et qu’ils ne pouvaient pas lutter contre elle tout seuls. Alors, ils ont uni leurs forces et organisé les procès Ergenekon, Balyoz, etc., afin de l’expulser du champ politique. Mais une fois débarrassés de leur ennemi, ils se sont retournés l’un contre l’autre.
>> À lire : Fethullah Gülen comploteur ou martyr ?
Fin 2013, lorsqu’un scandale de corruption a éclaboussé Erdogan [alors Premier ministre] et ses proches, cette bataille a éclaté au grand jour. La divulgation de ces faits était bien un complot destiné à éliminer le chef du gouvernement. La Cemaat est très organisée, elle agit silencieusement pour infiltrer l’État.
Gülen et Erdogan ont-ils une vision différente de l’islam ?
La Cemaat n’est pas une organisation islamiste comme les Frères musulmans, dont Erdogan est proche, mais une organisation islamique. Pour l’actuel président, les crises du monde musulman sont dues à l’Occident, qu’il veut défier. Pour Gülen, au contraire, les responsables de ces maux sont les musulmans eux-mêmes. Il ne critique ni les États-Unis ni Israël ; pour lui, l’Occident n’est pas mauvais : c’est un modèle à suivre. On rejoint là l’éternel débat : faut-il islamiser la modernité ou moderniser l’islam ?
Erdogan a-t-il pris le dessus ?
Pas tout à fait. Avec la vague d’arrestations de policiers [gulénistes], le conflit n’en est qu’à ses débuts. Connaissant la puissance de la communauté, ces opérations politiques ne suffiront pas. Gülen est très dur et ne recule pas face à Erdogan. La paix, il le sait, est impossible. Or le gouvernement reste vulnérable car les affaires de corruption [aujourd’hui étouffées] sont solidement étayées. S’il y avait une justice digne de ce nom, Erdogan serait en prison. Mais Gülen est loin d’avoir utilisé toutes ses munitions.
Qu’est-ce qui le motive ?
Pas l’argent, mais le pouvoir. C’est une sorte de génie, qui a des idéaux, et qui a consacré sa vie à les réaliser. Il a créé cette communauté, il contemple sa réussite et il est content. Il veut contrôler le pouvoir politique, en être le superviseur, une sorte de leader honoraire. Il ne veut pas être président de la République. Mais il préférerait que ce dernier le respecte et lui demande son avis.
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