Tunisie : l’ombre persistante de la torture
Malgré le processus de transition démocratique en cours, entamé il y a six ans, la pratique de la torture perdure en Tunisie. En nette baisse depuis 2015, les abus persistent, notamment dans les prisons et les centres de détention, a indiqué mercredi l’Organisation tunisienne contre la torture (OCTT).
L’ONG fait état de 153 cas enregistrés entre janvier et novembre 2016, rapporte l’AFP.
« L’année dernière nous avions enregistré 250 cas », a précisé Mondher Cherni, secrétaire général de l’OCTT. Et c’est sans compter les victimes non répertoriées.
La police, principal bourreau
Dans son rapport publié le 22 février, l’OCTT précise que ces abus, principalement dans le milieu carcéral et les commissariats, peuvent être classés dans cinq catégories :
La police arrive en tête des autorités sécuritaires qui commettent ces violations à l’encontre de détenus, suivie par les agents pénitentiaires puis par la garde nationale (gendarmerie), ajoutent les auteurs du rapport.
En décembre, le programme d’assistance directe de l’OMCT en Tunisie pour les victimes de torture et de mauvais traitements, SANAD, a rendu public son rapport annuel pour 2016. Sur la base de données récoltées par ses centres d’assistance juridique, sociale, psychologique et médicale à Sidi Bouzid et au Kef, ainsi qu’un bureau à Tunis, ce rapport pointe, entre autres, les principaux motifs de torture dénoncés.
Quelque 44% des bénéficiaires du programme SANAD disent en effet avoir été soumis à des tortures visant à leur extorquer des aveux ou des informations, et 23% indiquent l’avoir été par punition ou vengeance.
Autre rapport incriminant, celui d’Amnesty international pour 2016-2017. Période au cours de laquelle « de nouvelles informations ont fait état d’actes de torture et d’autres mauvais traitements infligés à des détenus, dans la plupart des cas au moment de leur arrestation et pendant leur détention provisoire. »
Plusieurs personnes arrêtées suite à l’attaque perpétrée en mars à Ben Guerdane affirment par exemple, selon ce rapport, avoir subi la méthode du « poulet rôti » selon laquelle « la victime est suspendue à une barre horizontale par les mains et les pieds, ainsi que des coups et des agressions sexuelles. » Ils auraient également été « placés à l’isolement pendant de longues périodes. »
Les parties politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, doivent exposer la question des violations et des droits humains
Par ailleurs, dénonce l’ONG, « des hommes accusés d’avoir eu des relations sexuelles avec d’autres hommes ont été contraints de subir un examen anal, en violation de l’interdiction de la torture. » En mai, le Comité contre la torture des Nations unies a dénoncé la répression pénale des relations librement consenties entre personnes du même sexe, ainsi que ces examens anaux forcés.
Des avancées, mais trop lentes
« Jusqu’à ce jour, il n’y pas eu une réforme réelle et concrète au sein des institutions sécuritaires et pénitentiaires », ont noté les responsables de l’OCTT en conférence de presse. La présidente de l’organisation, Radhia Nasraoui, a appelé, selon l’AFP, à « une révision des lois pour que la torture diminue. Les parties politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, doivent exposer la question des violations et des droits humains ».
Car si la Tunisie est « sur la bonne voie » en matière de lutte contre la torture, de l’avis d’experts internationaux, le problème persiste. Et le manque de décisions de justice « proportionnelle(s) à la gravité du crime » – ainsi donc que la « tendance à ne pas condamner les tortionnaires » – participe au renforcement de « l’impunité », constate la société civile tunisienne.
Manque de communication
Adoptée début février par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et entrée en vigueur le 1er juin, une réforme « révolutionnaire » du Code de procédure pénale garantit désormais le droit à un avocat, l’information de ses droits au moment de l’arrestation, ainsi que la réduction de la durée de la garde à vue.
Mais comme l’avait fait remarquer Héla Ben Salem, coordinatrice du programme réforme de la justice auprès d’Avocats sans frontières (ASF) en Tunisie, « les autorités n’ont pas assez communiqué sur l’entrée en vigueur de la loi. Or, si le justiciable ne connaît pas son droit, il peut difficilement le revendiquer ».
Enfin, 16 membres de l’Instance nationale de prévention de la torture (créée législativement en 2013) ont été nommés en mars par le gouvernement tunisien. Cet organe, exigé par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, que la Tunisie a ratifié, peine cependant à se mettre en place. Car « le manque de transparence quant au fonctionnement et au financement de cette instance compromettait sa capacité à remplir pleinement son rôle », déplore Amnesty.
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