Le patient gabonais

C’est l’histoire d’un petit pays peu peuplé, gâté – dans les deux acceptions du terme – par Dame Nature et donc plutôt riche (à l’échelle du continent) où, avec moins de 200 000 voix, on peut devenir président.

Le président Ali Bongo Ondimba lors de sa prestation de serment à Libreville le 27 septembre 2016. © Jeremi Mba/AP/SIPA

Le président Ali Bongo Ondimba lors de sa prestation de serment à Libreville le 27 septembre 2016. © Jeremi Mba/AP/SIPA

MARWANE-BEN-YAHMED_2024

Publié le 27 février 2017 Lecture : 5 minutes.

Un pays d’Afrique centrale dont l’élite, en règle générale, n’est pas vraiment un parangon de vertu, agrippée à ses privilèges et à ses prébendes, passée maître dans l’exercice d’un sport national : surfacturer l’État, source de la plupart des gros marchés, pour faire fortune en veillant bien entendu à arroser le bienveillant fonctionnaire qui appose son paraphe en bas du précieux document autorisant le deal.

Pendant que les « makayas » (l’homme et la femme lambda) peinent à subvenir aux besoins de leur foyer. Ce pays, même si cette description pourrait s’appliquer à d’autres dans la région, c’est le Gabon.

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Depuis 1967, soit un demi-siècle, tout, absolument tout tourne ici autour d’un seul et même patronyme : Bongo. Pour faire court et vous épargner un arbre généalogique aux allures de séquoia géant, le fondateur de la dynastie, « Papa Omar », plus d’une cinquantaine d’enfants reconnus, était à la fois le chef de l’État, celui du village et de la famille. Il gérait la cassette présidentielle à sa guise, mais en se montrant fort généreux.

La paix, la stabilité, mais aussi la longévité au pouvoir n’avaient pas de prix. Hormis au début des années 1990, comme ailleurs en Afrique à l’époque des conférences nationales, quand bien des régimes vacillèrent, son règne fut celui d’un monarque omnipotent.

À sa mort, en 2009, les appétits au sein de sa cour s’aiguisèrent. Les barons sortirent les couteaux. Son fils Ali s’imposa finalement. Face à lui, deux principaux opposants. Le premier, historique, Pierre Mamboundou, décéda en octobre 2011. Le second, André Mba Obame, ex-frère d’armes d’Ali, trépassa également, en avril 2015.

Durant les sept années de son premier mandat, Ali Bongo Ondimba adopta un comportement très différent de celui de son père, coupant les vannes de la manne dans laquelle tout le monde s’était habitué à puiser sans vergogne, se faisant une multitude d’ennemis parmi les caciques déclassés ou les chefs d’État de la région, se mettant à dos une France, passée à gauche, qui ne supportait guère la présence grandissante de concurrents américains ou asiatiques.

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Pis, ceux qui avaient été chargés par lui d’amorcer ce virage politique et l’« émergence » promise dans son programme adoptèrent la mauvaise stratégie, mélange explosif de morgue dans certains cas et de faiblesse dans d’autres.

Résultat : un bilan en demi-teinte, malgré des réalisations largement supérieures à celles des dix dernières années de son père, une myriade d’adversaires décidés à avoir sa peau, les espoirs déçus d’une population qui attendait une rupture plus nette et des résultats plus rapides et plus concrets. C’est lui le « patron », donc c’est à lui d’en assumer les responsabilités.

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La campagne présidentielle de 2016 devait être une sinécure pour Ali, elle a viré au cauchemar, érigeant les quatre barons les plus anciens de son père – plusieurs décennies de pouvoir sans résultats sous ce dernier – en incarnation paradoxale d’un changement espéré par tous ceux qui ne pouvaient plus souffrir le patronyme Bongo, et ils étaient nombreux.

Les trahisons dans son propre camp comme les « fautes professionnelles » de ses lieutenants furent légion. Élection catastrophique, victoire contestée par ses adversaires, mais validée par la Cour constitutionnelle. Pouvoir sauvé in extremis, mais image durablement écornée. Sur fond de contestation permanente et de grèves à répétition. Bref, un pays divisé, paralysé, sans cap ni boussole.

Rien ne pourra plus désormais être comme avant. L’heure est au dialogue national. Mais qu’en pensent au final une grande partie des Gabonais ? Que les mêmes, depuis des lustres, se disputent le pouvoir (et le gâteau), empêchant l’émergence de figures incarnant le renouvellement générationnel des élites politiques. Que ce pouvoir que tout le monde convoite n’a pas pour vocation de servir l’intérêt général, mais, au contraire, de permettre de s’affranchir des règles et des lois pour s’enrichir. Que l’opposition, depuis le décès de Pierre Mamboundou, n’est plus qu’un inextricable écheveau d’ego et de personnalités vieillissantes dont les seuls dénominateurs communs sont leur « omarophilie » et leur « aliphobie ». Que nombre de ses politiciens, tous bords confondus, disposent de biens et de moyens semble-t‑il inépuisables, ce qui pose forcément un problème… Alors, que faire ?

La balle est dans le camp d’Ali Bongo Ondimba, puisqu’il est le personnage central de cette tragédie équatoriale et le locataire du Palais du bord de mer. Il n’a guère le choix. Il doit, avant tout, faire un grand ménage parmi les siens pour s’entourer de collaborateurs compétents, ouverts et diplomates, efficaces, fidèles et intègres. Sanctionner avec la plus grande fermeté ceux qui ont échoué, ceux qui trichent et pensent plus à leur compte en banque qu’à l’intérêt général. Avec comme objectif de concrétiser une to-do list à la fois évidente et imposante : croissance, diversification, création d’emplois, lutte contre la pauvreté, éducation, santé, logement, infrastructures, justice, démocratisation… Dans des conditions hélas défavorables, les cours du pétrole et des matières premières étant ce qu’ils sont.

Il doit aussi, et peut-être surtout, prendre les devants et ne pas attendre un dialogue national dont personne ne sait à quoi il aboutira. Et pourquoi pas, puisqu’il s’agit d’une attente réelle, revoir les conditions de dévolution et d’exercice du pouvoir.

Durée du mandat, limitation du renouvellement de ce dernier, élection présidentielle à deux tours au lieu d’un seul, rôle et prérogatives élargis d’institutions comme l’Assemblée, le Sénat ou le Conseil national de la démocratie : le champ des réformes politiques et constitutionnelles qu’il pourrait lancer sans attendre est vaste.

Enfin, il lui faudra changer lui-même. Pour prendre ce qu’il y avait de bon chez son père, personnalité madrée s’il en est, comme cette faculté hors norme à rassembler, à ouvrir les bras tout en ne faisant confiance à personne – et surtout pas à un seul homme –, à garder un œil sur tout et à s’occuper de tout, à détecter les talents. Tout en restant lui-même pour réussir là où feu Omar a échoué : un homme d’une autre génération, plus jeune, plus moderne, soucieux du développement – dans l’intérêt de tous –, avec d’autres idées, d’autres partenaires, attentif aux évolutions de l’économie, au numérique, à la préservation de l’environnement, à la création de valeur ajoutée pour en finir avec l’économie de rente.

Synthèse complexe et tâche titanesque, reconnaissons-le. C’est pourtant la seule voie possible pour réconcilier les deux faces d’un même pays et se tourner enfin vers l’avenir.

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