« La vie a plus d’imagination que toi » : Vallaud-Belkacem, du Rif au PS
Dans un livre paru ce mardi 1er mars aux éditions Grasset (180 p., 17 euros), la ministre française de l’éÉducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, parle de son parcours, du Rif marocain au Parti socialiste. Extraits.
« Il en aurait fallu, de l’imagination, en effet, pour penser alors qu’il y aurait un jour une loi Vallaud-Belkacem… » Il faut bien le reconnaître : le parcours de Najat Valaud-Belkacem la ministre française de l’Éducation nationale est sans aucun doute le plus emprunt de courage, de persévérance et d’originalité, dans une classe politique française toujours marquée par le racisme et la misogynie. Ce parcours, Vallaud-Belkacem en livre un aperçu dans une autobiographie à mi-parcours, La vie a plus d’imagination que toi, paru ce mardi 1er mars aux éditions Grasset.
Le récit de Vallaud-Belkacem commence là où a commencé sa vie ; au Maroc. « Je suis née à Beni Chiker, dans un petit village au nord du Maroc, à quelques kilomètres de l’enclave espagnole de Melilla. Aujourd’hui, c’est une petite ville de 5 000 habitants, mais en 1977 nous étions une centaine. Peut-être moins. Je me souviens : quelques maisons de chaux blanche. Des troupeaux. Une terre aride, des pierres. Une herbe rare, ici et là, comme du lichen. Des buissons. Ni eau courante ni électricité à la maison. Et partout, le soleil qui frôle, qui brûle, qu’on ne voit plus, le soleil en son ciel gris. »
Vallaud-Belkacem précise : « J’ai un peu fréquenté l’école, en arabe bien sûr. J’allais aussi à la mosquée, avec ma mère. Du côté des femmes. C’était un islam paysan, pieux, et archaïque. Je garde surtout le souvenir de ma première visite dans une mosquée. Nous sommes entrées discrètement : une sorte de poussière flottait, bizarre. On m’avait dit : ne parle pas. Tiens ta langue. Tu comprendras. »
Le Maroc, la petite Najat le quitte vers quatre ou cinq ans. Un souvenir que la ministre restitue : « Je me souviens de ma première France ; je me revois courir sur le pont du bateau, avec ma mère qui serre ma main et respire fort ; terrifiée par le bruit, la foule, les couleurs. Et tenez-vous bien – c’était en 1982 – les voitures m’ont stupéfaite : bruyantes, rapides, dépassant de tous les côtés. Rien de comparable avec le calme de Beni Chiker. Et bien sûr la pluie. »
L’école, son dada
En France, sa famille s’installe à Amiens. Vallaud-Belkacem découvre l’école française et la lecture. L’éducation, forcément, la ministre s’y attarde. Sa scolarité, son entrée à la prestigieuse école Sciences Po… Elle attribue autant ses mérites au système scolaire français qu’à elle-même, promouvant ainsi le projet qui lui tient à cœur : une méritocratie de gauche.
« À treize ans, je me suis mise au théâtre, amateur, bien sûr. Poussée par ma professeure de français. Ou la magie du collège. On lit un peu Molière, ou Marivaux. C’est difficile. Mais il y a des scènes amusantes. Les portes claquent. Les amoureux se confondent. Les maîtresses embrassent leurs valets. Les codes se jouent de nous. Et la petite gardienne de chèvre parle le français de la scène. Magie de l’école et de l’intégration. »
Vallaud-Belkacem parle longuement de Sciences Po. L’école est aussi le lieu de sa rencontre avec Boris Vallaud, son mari. À certains endroits, le livre perd de son intérêt, ou du moins de sa fraîcheur : il devient un objet politique plus classique, jouant sur la fibre intimiste pour mieux diluer un message rassembleur. Impossible cependant, de ne pas reconnaître talent et solidité à la jeune femme qui fait l’amère expérience du racisme, s’accroche, déjoue les statistiques et les idées reçues, monte d’Amiens à Paris avec son père pour se présenter au concours d’une des écoles les plus prestigieuses de France, l’obtient, et remarque, bien sûr, que sur ses bancs, elle fait figure d’étrangère.
Vallaud-Belkacem martèle son message : l’école républicaine est la meilleur arme pour fonder un pacte républicain juste
« Très vite j’ai eu mon premier amphi, comme on dit. Nous étions plusieurs centaines, nous étions une sorte d’élite de la France : on nous le disait ainsi. Ce jour-là je me suis retournée de tous côtés (…) J’ai regardé. Et j’ai vu une masse étrangement uniforme : des jeunes filles, de jeunes garçons, des enseignantes, des enseignants, des chercheurs… Aucune peau mate. Sauf moi, peut-être. »
Malgré ce constat amer, Vallaud-Belkacem martèle son message, devenu sa marque de fabrique : l’école républicaine est la meilleur arme pour fonder un pacte républicain juste, la meilleure pourvoyeuse de talents, le meilleur lieu pour assurer un renouvellement des élites et une mobilité sociale réelle.
Le racisme, l’islam…
Vallaud-Belkacem parle du racisme qu’elle a subi et qu’elle continue de subir, même installée dans un fauteuil ministériel. Elle n’épargne pas au lecteur, le désormais très classique – si ce n’est rebattu – souvenir du 21 avril 2002, jour où le candidat d’extrême-droite Jean-Marie Le Pen s’est hissé au second tour de la présidentielle. À l’en croire, c’est ce moment qui la jette dans les bras du militantisme socialiste, elle qui ne s’était pas déplacée ce jour-là pour glisser de bulletin dans l’urne.
La ministre évoque aussi, forcément, les questions liées à l’islam en France. Elle évite la polémique, n’utilise pas le terme d’islamophobie. Au chapitre de la lutte contre le terrorisme, elle dénonce « l’injonction qui a pu être faite aux musulmans de se désolidariser des terroristes. » « Cette injonction est scandaleuse. Parce qu’elle présuppose une complaisance généralisée. Alors que c’est l’inverse : la révulsion des musulmans pour les attentats doit être un levier, non pas de stigmatisation, mais de mobilisation… » Elle précise : « Bien sûr qu’on interroge l’islam. Même si j’ai rappelé ce que pouvait être la pratique pieuse, rurale, de mes parents, oui, je partage les préoccupations de ceux qui s’inquiètent à la fois de la ‘sainte ignorance’ qui entoure souvent cette religion et en même temps, du développement d’un islam rigoriste, fondamentaliste qui rejette, qui fracture. Oui, il y a une nécessité urgente que l’islam et ses responsables combattent en leur sein le cancer obscurantiste. »
La vie a plus d’imagination que toi est un récit d’une franchise certaine, dépouillé de toute révélation politique, d’arcanes ou de bruits de couloirs ou même de piques à qui que ce soit. La ministre, sans doute une des personnalités politiques les plus douées de sa génération, sait ce qu’elle fait : incarner une idée pour laquelle elle milite. Un exercice qui suppose l’exposition. Et qu’elle mène avec intelligence.
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