Anne Paugam, AFD : « L’Afrique reste et restera notre principale zone d’intervention »

À la tête de l’Agence française de développement (AFD) depuis un an et demi, Anne Paugam a défini les priorités de l’institution à travers un exigeant contrat d’objectifs et de moyens.

À 48 ans, cette diplômée de l’École nationale d’administration (ENA, 1993) est la première femme à diriger l’Agence française de développement. © Camille Millerand/Divergence pour J.A.

À 48 ans, cette diplômée de l’École nationale d’administration (ENA, 1993) est la première femme à diriger l’Agence française de développement. © Camille Millerand/Divergence pour J.A.

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 14 janvier 2015 Lecture : 5 minutes.

Fin d’année chargée pour Anne Paugam ? C’est en tout cas l’impression qu’elle donne en recevant Jeune Afrique entre deux réunions. Première femme à diriger l’Agence française de développement (AFD), cette énarque nous assure que sa première année à la tête de l’institution a été riche. Le cadre législatif a été rénové, et un contrat d’objectifs et de moyens définissant ses priorités a été établi pour les trois prochaines années.

En somme, l’agence est repartie sur de nouvelles bases. « Je suis arrivée avec une vision et des objectifs sur ce qui me semblait souhaitable – en accord avec les orientations que fixe le gouvernement », glisse celle qui, en désaccord avec son prédécesseur Dov Zerah, avait quitté l’agence lorsque celui-ci en avait été nommé directeur général.

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Propos recueillis par Stéphane Ballong

Jeune Afrique : Vous avez adopté une nouvelle stratégie début 2014. En quoi consiste-t-elle ?

Anne Paugam : Dans le cadre du contrat d’objectifs et de moyens défini par le gouvernement français pour 2014-2016, nous avons opté pour une vision intégrée du développement : nous cherchons à améliorer les choses sur les plans économique et social en tenant compte de l’environnement. Ainsi, la moitié de nos investissements doit avoir un impact sur le développement socio-économique, mais aussi sur le climat, en matière d’adaptation ou d’atténuation. Lequel est concerné par des projets d’infrastructures dans l’aménagement urbain et l’énergie, etc.

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Quelle place occupe l’Afrique dans cette nouvelle stratégie ?

Le continent reste et restera notre principale zone d’intervention. Nous y avons investi 3,5 milliards d’euros en 2014 et y déployons la moitié de notre réseau d’agences et de cadres. C’est aussi l’essentiel de l’effort budgétaire de l’État, autrement dit du contribuable français. Les prêts très bonifiés accordés par l’AFD immobilisent l’argent public pour en adoucir les conditions. Nous devons consacrer au continent plus de 85 % de l’effort budgétaire destiné au développement. Et cette année, nous irons au-delà.

Autrefois qualifiée de continent sans avenir, l’Afrique est devenue une terre d’opportunités. Partagez-vous cet optimisme ?

Les situations sont extrêmement différentes et il serait tout aussi exagéré de dire que l’Afrique est sortie d’affaire que de la réduire à des pays en crise. Dans son ensemble, le continent affiche un taux de croissance enviable d’environ 5 %. Mais il doit absorber une population en forte hausse. L’arrivée de plus de 10 millions de jeunes par an sur le marché du travail constitue un enjeu de taille en matière de formation et d’intégration. Par ailleurs il ne faut pas oublier les défis liés aux infrastructures et aux questions de paix et de sécurité.

À quel niveau doit intervenir l’aide pour être plus efficace ?

L’enjeu est de déployer les bons outils auprès des bons acteurs, sur les bons sujets. C’est ce que nous essayons de faire en développant des partenariats avec les États sur l’accompagnement des politiques publiques, ainsi qu’en direct avec les entreprises publiques et privées, les établissements financiers, les collectivités et les ONG. En Afrique du Sud par exemple, nous finançons en prêt un opérateur privé qui construit des logements sociaux en centre-ville. Ce type de financement a un double impact : en prêtant directement à des sociétés menant des actions publiques, l’AFD favorise l’accès aux services publics et conforte la solidité et la gestion durable de l’entreprise.

Face au tarissement actuel de l’aide au développement, comment gérez-vous vos ressources ?

L’AFD n’a pas ce problème. Les moyens budgétaires venant de l’État n’augmentent pas, mais ils ne diminuent pas non plus. L’objectif de 20 milliards d’euros pour l’Afrique, annoncé l’an dernier par François Hollande pour les cinq prochaines années, marque une hausse des engagements français mis en oeuvre par l’AFD en faveur du continent. De manière générale, nos financements sont en hausse sur la période 2014-2016 : de 7,8 milliards d’euros en 2013, ils sont passés à 8,1 milliards d’euros en 2014 et doivent atteindre 8,5 milliards d’euros en 2016.

Pourquoi l’AFD refuse-t-elle de lier son aide à des contrats en faveur d’entreprises françaises alors que d’autres bailleurs le font ?

Nous opérons dans le cadre des engagements pris par la France auprès de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques]. Dans les pays les moins avancés et les pays à revenus intermédiaires, les bailleurs se sont engagés à délier l’aide. Mais si nous travaillons avec nos partenaires du Sud à ce que les spécifications techniques des appels d’offres assurent un niveau de qualité élevé, conforme à leurs aspirations, nous voyons parfois tel bailleur asiatique imposer des conditions techniques que seules les entreprises de son pays remplissent.

Nous voyons parfois tel bailleur imposer des conditions techniques que seules les entreprises de son pays remplissent.

Faites-vous allusion à la Chine ?

Non, pas en particulier. Je dis juste que les règles des appels d’offres doivent être ouvertes et respecter au minimum les standards environnementaux et sociaux auxquels les entreprises et les pays ont souscrit.

Votre filiale consacrée au secteur privé a souvent été accusée d’investir dans des fonds situés dans des paradis fiscaux. Pourquoi risquer de susciter la controverse ?

Dans les pays en développement, des bailleurs de fonds comme l’AFD ne peuvent atteindre directement les PME et doivent passer par les fonds d’investissement. En 2013, Proparco comptait 56 fonds qui ont permis d’investir dans 250 entreprises, lesquelles ont contribué à la création ou au maintien de 120 000 emplois. Pour pouvoir financer ces PME, ces fonds ne doivent pas générer une couche d’imposition supplémentaire. Les entreprises dans lesquelles ils investissent paient localement leurs impôts. Les investisseurs – Proparco ou d’autres – en paient aussi et sont également imposés lorsqu’ils touchent des dividendes. Si le fonds qui sert d’intermédiation est soumis à un troisième niveau d’imposition, l’investissement devient impossible. C’est pour cela que les fonds sont domiciliés dans des pays à faible imposition sur leurs activités.

Donc des paradis fiscaux

Non. Ce sont des pays dans lesquels les fonds ne subissent pas de troisième couche d’imposition. L’AFD et Proparco, très contrôlés, obéissent à la législation française et européenne sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. En matière de recours au financement impliquant des juridictions non coopératives et non conformes, nous sommes soumis à une politique très restrictive. Toute prise de participation dans des fonds immatriculés dans de telles juridictions où ils n’ont pas d’activité économique réelle est bannie.

Qu’entendez-vous par « juridiction non coopérative » ?

Ce terme désigne les pays qui ne se conforment pas aux normes internationales de politique fiscale. Leur liste est définie par la Direction générale des impôts et par le Forum mondial sur la transparence à des fins fiscales de l’OCDE.

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