Le brésilien Odebrecht sort de son pré carré

Connu pour ses projets en Angola et au Mozambique, le groupe Odebrecht s’intéresse de plus en plus aux pays non lusophones, notamment en Afrique de l’Est. Et ses ambitions ne se limitent pas au secteur du BTP.

De g. à dr. : le président mozambicain, Armando Guebuza, l’ambassadrice du Brésil, Lígia Maria Scherer, et le directeur local d’Odebrecht, Félix Martins, lors de l’inauguration de l’aéroport de Nacala, le 13 décembre 2014. © Cinegroup

De g. à dr. : le président mozambicain, Armando Guebuza, l’ambassadrice du Brésil, Lígia Maria Scherer, et le directeur local d’Odebrecht, Félix Martins, lors de l’inauguration de l’aéroport de Nacala, le 13 décembre 2014. © Cinegroup

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 13 janvier 2015 Lecture : 5 minutes.

Le 13 décembre, Armando Guebuza, le président mozambicain, inaugurait le tout nouvel aéroport de Nacala, dans le nord du pays. Situé près des gisements pétroliers et miniers, il aura coûté 110 millions d’euros et a été construit par Odebrecht. Le groupe familial brésilien nourrit de grandes ambitions dans cette économie d’Afrique Australe en plein essor. Leader au Brésil du secteur du BTP, son coeur de métier, il est également présent dans l’immobilier, la pétrochimie, l’ingénierie pétrolière et l’agro-industrie.

« Sur le continent, on fait d’abord appel à nous pour les infrastructures, puis nous élargissons nos activités, selon les besoins des États. Au Mozambique, après avoir réalisé des routes et un aéroport, nous nous lançons dans l’agroalimentaire, avec un projet avicole et agricole au centre du pays », explique Antonio Poncioni Mérian, directeur du développement du groupe en Afrique, tout juste revenu de Maputo. « Nous discutons même avec le sud-africain SABMiller pour approvisionner son usine de bière de manioc », indique-t-il, évoquant aussi des projets immobiliers, et dans les services pétroliers, avec le boom des hydrocarbures que connaît le pays.

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Créée en 1944 à Salvador de Bahia par Norberto Odebrecht, et toujours détenue par ses héritiers, l’ »Organização » est présente en Afrique depuis près de trois décennies. Sa principale base sur le continent est l’Angola, où le groupe est actif depuis 1989 (pendant la guerre civile). Il y compte quelque 24 000 employés et y multiplie les projets dans tous ses domaines de compétences : édification de trois barrages hydroélectriques, construction et gestion de la ville nouvelle de Talatona, prestation de services parapétroliers pour la Sonangol, production d’éthanol à Kapunda… Odebrecht s’est même lancé dans la distribution, avec les supermarchés Nosso Super, un métier nouveau pour lui.

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Ordre de bataille

En Afrique, la multinationale sud-américaine, dont le chiffre d’affaires est passé de 17 milliards d’euros en 2009 à 30 milliards en 2013, entend accélérer son développement. Construit pendant longtemps comme une fédération de PME brésiliennes, le groupe s’est mis en ordre de bataille pour aborder les marchés internationaux et les grands contrats d’infrastructures. Aux manettes depuis six ans, Marcelo Bahia Odebrecht, petit-fils du fondateur, a structuré et centralisé le groupe, dont le nouveau siège – une tour de 27 étages située dans les quartiers huppés du sud-ouest de São Paulo – témoigne de la prospérité et des ambitions renouvelées.

Quatre compatriotes dans la course

Même s’il est le plus grand, Odebrecht n’est pas le seul géant du BTP brésilien intéressé par l’Afrique. Quatre autres groupes sont très présents sur les contrats d’infrastructures publiques, essentiellement au Brésil, et de plus en plus à l’international.

Comme Odebrecht, ils sont tous tenus par des dynasties familiales avec un ancrage régional important au Brésil et de bonnes connexions politiques locales.

Andrade Gutierrez (5,16 milliards d’euros de revenus), le principal rival brésilien d’Odebrecht sur le continent, est actif dans une dizaine de pays africains dont le Cameroun et la Guinée, principalement dans la construction de routes.

Avec ses 7,93 milliards d’euros de chiffre d’affaires, Camargo Correa est présent en Angola et au Mozambique.

Queiroz Galvao (2,9 milliards d’euros de revenus) est actif en Angola et en Libye. OAS, dernier concurrent, pèse quant à lui quelque 1,6 milliard de dollars de chiffre d’affaires, avec des projets en Angola et en Guinée équatoriale.

Après avoir décroché au Ghana le contrat du corridor routier reliant Accra au Burkina Faso, la multinationale entend continuer à gagner de nouveaux marchés en dehors des deux grands pays lusophones du continent. Désormais, elle vise l’Afrique de l’Est.

« Nous sommes en contact avec la Tanzanie pour la construction de l’aéroport de Mtwara et, même si nous sommes préoccupés par les questions sécuritaires, nous observons le Kenya. Nous misons surtout sur l’Éthiopie, un État à fort potentiel qui s’est rapproché du Brésil », indique Antonio Poncioni Mérian, qui avait reçu le Premier ministre Meles Zenawi lors de sa visite au Brésil.

Jet privé

Sur le continent, l’entreprise mise sur ses relations avec les autorités locales. Elle privilégie les pays où le Brésil accompagne ses entreprises, notamment via la Banque nationale pour le développement économique et social (BNDES). Une proximité avec les gouvernants qui ne fait pas l’unanimité, notamment à domicile.

« L’ancien président Lula est très proche du PDG, qui a souvent mis son jet privé à sa disposition, confie un avocat d’affaires brésilien. Cette relation avec la figure populaire du Parti des travailleurs, au pouvoir, permet au groupe d’être en pole position pour décrocher des contrats de travaux publics au Brésil et les crédits publics de la BNDES », estime-t-il.

L’obtention par Odebrecht des contrats de quatre stades pour la Coupe du monde 2014 de football, dont la rénovation du mythique Maracana de Rio de Janeiro, a notamment fait polémique. « Nous sommes leaders au Brésil, mais absolument pas en situation de monopole », se défend Antonio Poncioni Mérian.

À Luanda, le soutien affiché du groupe au gouvernement du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA, le parti dirigeant) a aussi été critiqué. « Nos clients sont d’abord les États, sociétés et collectivités publiques, avec lesquels nous devons construire une relation de long terme pour le développement des pays. L’analyse de la situation géopolitique est donc cruciale dans nos décisions d’investissement, rétorque le responsable du développement africain, confiant dans la stabilité du pays. À la différence de certains concurrents chinois et brésiliens, nous n’entrons pas dans un pays pour bâtir une route et en repartir aussitôt. »

Le dirigeant Afrique met aussi en avant une coopération « Sud-Sud » et les liens culturels entre l’Afrique et le Brésil, face à la concurrence des conglomérats portugais comme Teixeira Duarte et Mota-Engil, très agressifs en Angola et au Mozambique.

Partenaire établi

Soucieux de ne pas se disperser et sensible au risque politique, Odebrecht ne voit pas encore de réelles perspectives en Afrique francophone, à moins qu’il ne puisse s’appuyer sur un partenaire bien établi dans la région. Si elle a été sollicitée par le géant minier Rio Tinto pour les infrastructures du projet du mont Simandou, en Guinée, la multinationale se verrait davantage associée avec un groupe comme Bolloré.

« Nous pourrions allier notre force dans la construction dans les pays lusophones et leurs compétences en logistique en Afrique francophone », estime Antonio Poncioni Mérian, préoccupé comme le français par la montée en puissance des groupes chinois tels que Sinohydro pour les barrages électriques ou China Railway Corporation dans les chemins de fer.

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