Médecine : « En Afrique, le concept de soin palliatif est quasi inexistant »
« Je me souviendrai toujours de ce patient de 24 ans atteint d’un cancer du foie. C’était en 2008. Il était au stade terminal dans le service de médecine interne de l’hôpital de Kibagabaga, à Kigali.
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Dr Christian Ntizimira
Spécialiste de la politique de la douleur et des soins palliatifs dans l’organisation rwandaise des hospices et des soins palliatifs à Kigali, et chercheur associé à l’université de Harvard (États-Unis)
Publié le 15 mars 2017 Lecture : 3 minutes.
Il souffrait horriblement, mais le règlement sur l’utilisation des opiacés était un vrai parcours du combattant. Pour une seule ampoule de morphine de 10 mg, il fallait que je rédige ma prescription au stylo rouge, et que j’obtienne la signature du pharmacien, de l’anesthésiste et du chef de service.
Je n’oublierai jamais sa mère. Elle m’avait suivi après le tour de salles et supplié à genoux de donner à son fils un médicament qui le ferait dormir pour qu’il ne se réveille plus. Les cris et les pleurs de son fils étaient traumatisants et insupportables pour les autres patients. Mais aussi pour elle et sa famille, bien sûr, qui ne pouvaient pas accepter que leur proche finisse sa vie avec cette douleur inhumaine que les médecins étaient incapables de traiter.
Mon patient mourut dans des douleurs atroces.
Cette histoire a marqué un tournant majeur dans ma vie professionnelle. J’ai compris que, malgré les années passées à la faculté de médecine, j’avais encore beaucoup à apprendre sur la prise en charge des patients souffrant de maladies incurables et de leur famille. Trois jours plus tard, mon patient mourut dans des douleurs atroces, entouré par un personnel soignant frustré de n’avoir pu utiliser d’opiacés pour soulager ses souffrances.
Améliorer la qualité de vie des patients
Depuis, j’ai aussi compris que la prise en charge des patients devait être globale, qu’elle n’était pas seulement physique, mais également psychologique, sociale et spirituelle.
L’Organisation mondiale de la santé elle-même a, en 2002, défini les soins palliatifs comme étant une approche visant à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille face aux conséquences d’une maladie potentiellement mortelle. Et ce par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision. Il faut non seulement traiter la douleur, mais aussi prendre en charge les autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui lui sont liés.
À cet égard, l’Afrique est à la traîne, et l’accès aux soins palliatifs y est presque inexistant. La douleur y est également mal traitée, pour diverses raisons : les médecins ont encore des idées fausses et préconçues sur l’utilisation de la morphine ; le personnel soignant ne sait pas toujours comment gérer la douleur des patients ; la faiblesse des stocks et une bureaucratie cauchemardesque compliquent bien souvent l’accès aux médicaments essentiels, y compris à la morphine, qui est pourtant un opiacé crucial dans la prise en charge des douleurs sévères chez les patients cancéreux.
Seuls six pays africains ont franchi le pas
Il y a vingt-trois ans, le génocide des Tutsis a fait près d’un million de morts en cent jours au Rwanda. Après ce drame, le pays est devenu un modèle en matière de soins palliatifs dans le système de santé publique.
En 2011, il a été le premier État africain à adopter une politique nationale dans ce domaine. Résultat : les antidouleurs, y compris la morphine, sont désormais sur la liste des médicaments considérés comme essentiels par le ministère de la Santé. Seuls six autres pays du continent ont depuis franchi le pas : le Swaziland, le Botswana, le Mozambique, le Malawi, la Tanzanie et le Zimbabwe.
Mais il faut garder espoir. Au Rwanda, parce que le concept de soins palliatifs a rendu aux patients leur dignité en tant qu’êtres humains, il a contribué à redonner à tout un peuple une partie de cette humanité perdue pendant la tragédie de 1994. Les soins palliatifs vont bien au-delà de la question des soins et des traitements. Ils sont un devoir d’Humanité, avec un grand H. »
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