Tribalisme : l’enfer, c’est les autres
Le mot fait peur, et il fut un temps où, à Jeune Afrique, on s’interdisait de l’employer : trop connoté, trop réducteur, trop « colonisé », aussi malsain en soi que le mode d’organisation sociale auquel il renvoie, fondé sur le sentiment d’appartenance exclusive à une ethnie.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 6 mars 2017 Lecture : 3 minutes.
Aujourd’hui encore, le vocabulaire politiquement correct préfère le substantif de « communautarisme » ou de « repli identitaire », comme si enrober le mal d’une langue de soie le rendait en quelque sorte nommable.
Soyons clairs, et autant appeler un chat un chat : en maints endroits du continent, et plus particulièrement en Afrique centrale, où la crise économique et financière a pour conséquence le retour au galop des vieux démons excommunicateurs, le tribalisme ne s’est jamais aussi bien porté, quasiment à visage découvert.
Au point qu’il serait temps sans doute de ne plus regarder ce qu’un ancien chef d’État – le Congolais Pascal Lissouba – a théorisé sous le nom de « tribu-classe » comme un cancer mais comme une réalité irréfragable : soixante ans d’indépendances, décomposés en trente années de règne des partis uniques et trente autres de démocratisations aléatoires, n’ont pas fait régresser d’un iota le phénomène, lequel semble jouir d’une capacité de résistance métabolique hors normes.
Oui, le tribalisme existe, oui, c’est un mal qu’il faut éradiquer… chez l’autre.
À de rares exceptions près (Sénégal, Burkina, Bénin…), le tribalisme demeure une clé essentielle de la vie politique, administrative et économique, et ses possibilités d’adaptation à la modernité sont sans limites. Tel un virus mutant, le monstre a retrouvé une nouvelle jeunesse en infiltrant la Toile, les réseaux sociaux, les vraies-fausses ONG et les campagnes électorales.
Quand vous interrogez un chef d’État, un ministre, un politicien, qu’il soit du pouvoir ou de l’opposition, un militant de la société civile ou un homme d’affaires, la vérité du tribalisme n’est jamais niée, et la nécessité de le combattre sans relâche est ressassée comme une évidence. Au journaliste de passage, surtout s’il est occidental, au diplomate étranger, à l’envoyé du FMI ou de la Banque mondiale, bref à la communauté internationale, on sert le discours qui convient et que ceux-là souhaitent entendre : oui, le tribalisme existe, oui, c’est un mal qu’il faut éradiquer… chez l’autre.
Car jamais votre interlocuteur ne reconnaîtra que le syndrome ait pu l’atteindre : côté cour, côté salon ou côté diurne, comme on voudra, l’enfer, c’est (toujours) les autres.
La caravane des mille et une nuits
Propriétaires exclusifs d’une Arabie à laquelle ils ont (abusivement) ajouté leur patronyme, les Saoud ne sont pas une tribu mais une famille tentaculaire, avec à sa tête un roi de 81 ans, Salman Ibn Abdelaziz, vingt-cinquième fils du fondateur de l’État sous sa forme actuelle. Et quand Salman voyage, ce qui lui arrive très rarement, la caravane des mille et une nuits suit.
Pour la mégatournée qu’il effectue en ce moment en Asie (Malaisie, Indonésie, Brunei, Japon, Chine et… îles Maldives : 298 km² de terres émergées, peine de mort applicable aux mineurs et flagellations recommandées), le monarque est flanqué d’une délégation de… 1 500 personnes. Dont 25 princes et 100 gardes du corps, sans oublier 500 tonnes de fret nécessitant l’emploi de 572 bagagistes.
Le tout à bord de six Boeing et d’un gros-porteur C 130 Hercules réservé au transport des deux élévateurs et de l’escalator plaqué or que Sa Majesté, atteinte d’un début d’Alzheimer, utilise dès que le sol s’élève, décline, lorsqu’il lui faut descendre de son avion ou y embarquer. L’accompagnent également deux de ses limousines Mercedes Maybach blindées à un demi-million d’euros pièce.
Déluge de richesse indécente, alors que les Saoudiens, frappés par la baisse des revenus de l’or noir, sont contraints d’avaler la potion amère des programmes d’austérité ? Ou démonstration volontairement tapageuse de la bénédiction divine prodiguée sans limite ni retenue aux maîtres de la Saoudie ?
Une chose est sûre : de ce côté-là, la rente de situation dont bénéficie l’autoproclamé gardien et protecteur des lieux saints ne risque pas, contrairement au pétrole, de se tarir. Selon les toutes dernières projections du Pew Research Center de Washington, l’islam sera, en 2070, la première religion du monde…
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