Christiane Taubira : « Lorsque les femmes sont considérées comme des sous-citoyennes, c’est une perte collective »

L’ancienne garde des Sceaux française Christiane Taubira est en Tunisie ce mercredi 8 mars. À l’occasion de la journée internationale des droits de la femme, celle qui n’a « peur ni du sexisme, ni du racisme, ni de la bêtise » − selon le titre de son intervention à l’Institut français de Tunisie −, revient sur l’expérience post-Ben Ali et les combats à mener pour les femmes dans le pays.

Christiane Taubira, le 27 janvier 2016. © Jacques Brinon/AP/SIPA

Christiane Taubira, le 27 janvier 2016. © Jacques Brinon/AP/SIPA

Publié le 8 mars 2017 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique : Qu’évoque pour vous cette journée internationale des droits de la femme ?

Christine Taubira : D’abord, il s’agit de la journée des droits des femmes et non de la femme, l’icône, la chose abstraite, désincarnée qui éblouit les hommes. Ensuite, je crois que nous sommes de plain-pied dans la société, en situation de combativité, bien décidées à conserver les conquêtes engrangées par les luttes de génération en génération mais aussi soucieuses d’être responsables et d’ajouter aux libertés qui nous manquent, de façon à ce que nos filles aient d’autres combats à mener.

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Sur quoi butent les femmes, et les Tunisiennes en particulier ?

La Tunisie a ses comptes à régler avec son histoire, ses traditions et ses limites, comme c’est le cas pour chaque société, y compris celles que l’on considère comme très démocratiques. On voit bien, lorsqu’on va dans le détail, que subsistent de grands dysfonctionnements et de véritables différences de droits entre les filles et les garçons.

La Tunisie a ses comptes à régler avec son histoire, ses traditions et ses limites, comme c’est le cas pour chaque société

Dans certaines sociétés, l’arsenal législatif posant le principe d’égalité entre les hommes et les femmes peut être satisfaisant, mais dans la pratique des mécanismes freinent la mise en œuvre de ces lois. Il reste toujours des combats à mener, que ce soit pour que les textes disent clairement l’égalité entre les hommes et les femmes ou pour que les textes qui le disent déjà soient parfaitement appliqués.

Les Tunisiennes ont été pionnières dans le monde arabe sur ce sujet. Y a-t-il un déficit de transmission qui expliquerait les difficultés éprouvées par les nouvelles générations ?

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Le problème de la transmission se pose partout. C’est vrai : il y a une génération qui croit que la pilule a toujours existé, que la contraception a toujours été admise, que l’interruption volontaire de grossesse a toujours été acquise partout, qui pense que circuler librement dans les rues ou aller à l’école mixte a toujours été possible.

Nous avons le devoir de procéder à cette transmission, afin que les jeunes filles sachent ce qu’ont été les combats à l’honneur de leurs mères, et parfois de leurs pères. Il faut leur dire qu’elles ont par gratitude et responsabilité leur part à acquérir. Il faut que les femmes parlent plus, s’expriment et disent.

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Comment identifier les combats à mener pour elles ?

Il suffit de faire un état des choses : est-ce que les libertés des femmes sont exactement celles des hommes ? Est-ce que la liberté de circulation, l’autonomie en terme économique, les chances, la reconnaissance des compétences et des qualités, l’accès aux responsabilités et aux métiers sont exactement les mêmes ? Est-ce que la parole tribunitienne qui s’élève dans la société et qui porte des idées intéresse toute la société ?

Est-ce que les libertés des femmes sont exactement celles des hommes ? Si la réponse était oui, dans ce cas, il n’y aurait plus rien à faire

Si la réponse était oui, dans ce cas, il n’y aurait plus rien à faire. Mais on en est loin, il y a encore beaucoup de combats à livrer. Il s’agit d’un combat politique au sens noble du terme, et social. C’est aussi un combat de progrès, qui concerne en partie les hommes, parce qu’il leur profite également.

En Tunisie, la question de l’égalité dans l’héritage est un exemple de question assez épineuse, comme dans d’autres pays où les lois se réfèrent à la jurisprudence de l’islam. La laïcité peut-elle aider à la conquête des libertés ?

Il faut bien comprendre ce qu’est la laïcité. Elle doit être entendue comme un principe de concorde, qui établit clairement que quelles que soient nos singularités, nous sommes égaux dans la société en droits, libertés et obligations. La laïcité permet que la société ne se crispe pas sur des singularités, des appartenances ou des différences.

Ce principe permet de vivre ensemble et de construire ensemble l’avenir de la société. Alors, incontestablement, la laïcité est le socle à partir duquel on peut poser l’égalité de base entre les hommes et les femmes. Quand une société pose clairement l’égalité entre les hommes et les femmes, elle peut comprendre et admettre les égalités dans l’ensemble de la société.

Est-ce que les échanges avec l’Occident peuvent aider les femmes du Sud à mieux appréhender le processus de conquête de leurs libertés ?

Le monde aujourd’hui est à la portée de tout le monde. Même sans voyager, on sait comment vivent les autres ailleurs. Il est facile et souhaitable de regarder du côté des sociétés où les égalités sont inscrites dans la loi. Elles ne s’effondrent pas ; au contraire, elles libèrent une énergie qui ailleurs est neutralisée.

Lorsque les femmes sont considérées comme des sous-citoyennes, qu’elles n’ont pas les mêmes libertés, les mêmes droits ni les mêmes opportunités que les hommes, c’est forcément une part importante de la société qui est neutralisée. Collectivement c’est une perte. Au contraire, lorsque les femmes peuvent apporter leur part dans la société, s’additionner au reste, c’est de l’énergie, de la créativité et de la vitalité en plus.

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