La dernière salve de la guerre de Trump contre les musulmans
Alors que le nombre de déplacés et de réfugiés dans le monde a atteint le niveau record de 65,3 millions de personnes en 2015, et que l’Afrique reste, rappelons-le, le premier continent d’accueil de ces réfugiés, la plupart des pays les plus riches leur claquent la porte au nez.
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Samira Daoud
Directrice régionale Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnesty International
Publié le 10 mars 2017 Lecture : 5 minutes.
Ceux qui sont restés sans voix en regardant Donald Trump crier victoire lors de l’élection présidentielle américaine sur l’estrade de la peur, de la xénophobie et de la haine espéraient, maigre consolation, que sa rhétorique toxique de campagne n’était qu’une stratégie électoraliste. La forme plutôt que le fond. Juste des mots.
Pourtant, avec un empressement troublant, le nouveau président a étayé ce discours haineux par une série de décisions politiques concrètes qui représentent une menace grave et immédiate pour les droits humains aux États-Unis et dans le reste du monde.
La série de décrets répressifs qu’a promulgués Donald Trump au cours des deux premiers mois de sa présidence aura des conséquences considérables et catastrophiques. Et ce n’est pas un problème purement américain, loin s’en faut. La politique de la Maison-Blanche de Trump fera des ricochets aux quatre coins du globe, et les plus vulnérables seront les plus touchés.
Rien de surprenant à ce que les deux cibles principales de Donald Trump dans son Bureau ovale soient celles qu’il a désignées au fil de sa campagne : les musulmans et les réfugiés. Si vous êtes un réfugié et que vous êtes musulman, vous jouez de malchance.
En promulguant le 27 janvier l’ordonnance visant à « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux États-Unis », Donald Trump a déclaré la guerre aux réfugiés musulmans à travers le monde. Son application incohérente a rapidement semé la peur et le chaos.
Il y eut un bref répit le 3 février, lorsqu’une cour fédérale de district a pris une décision suspendant au niveau national cette mesure manifestement discriminatoire, mais le répit fut de courte durée.
Lundi 6 mars, mettant fin à plusieurs semaines de suspense, la Maison-Blanche a publié une nouvelle version du décret. En dépit de son caractère « rafistolé », il constitue un affront à peine voilé au système judiciaire et reste une interdiction visant les musulmans, peu importe son nom.
Ce décret va affecter 60 000 personnes vulnérables pour la seule année 2017
D’un trait de plume, le président a une nouvelle fois fermé la porte à tout ressortissant – réfugiés y compris – venant de Syrie, d’Iran, de Libye, de Somalie, du Soudan et du Yémen. Ces pays sont tous majoritairement musulmans, mais sont aussi les pays d’où provient le plus grand nombre de demandeurs d’asile fuyant les conflits et les violations des droits humains.
En restreignant légèrement la portée du nouveau décret, l’administration Trump a sans doute pallié certaines défaillances constitutionnelles du précédent. Il reste sans conteste discriminatoire et conserve la plupart des aspects les plus contestables de l’original.
Donald Trump assure vouloir bloquer l’entrée des « terroristes » susceptibles de s’attaquer aux États-Unis. En réalité, aucune donnée ne vient étayer l’idée qu’il y a plus de probabilités que les réfugiés – musulmans ou autres – commettent des actes de terrorisme que les citoyens.
En outre, Donald Trump a fixé à 50 000 le nombre maximal de réfugiés accueillis par an. Le gouvernement du président sortant Barack Obama s’étant engagé à accueillir 110 000 réfugiés durant l’année fiscale en cours, ce décret va affecter 60 000 personnes vulnérables pour la seule année 2017.
Cette mesure insensible est prise alors que le monde fait face à une urgence, à savoir que 65 millions de personnes sont déplacées en raison des guerres et des persécutions.
À l’ère des « fausses informations » et des « faits alternatifs » fabriqués de toutes pièces, la vérité ne présente guère d’intérêt pour le président.
Pour les réfugiés et les migrants confrontés à des questions de vie ou de mort, les faux-semblants et les impostures ne sont pas un luxe auquel ils peuvent s’adonner. Depuis que l’interdiction de voyager est entrée en vigueur, Amnesty International et d’autres ont entendu des récits de terribles souffrances dans divers pays du globe. Des familles séparées, des vies en suspens, des espoirs de nouveau départ brisés du jour au lendemain.
Comme cet homme qui s’est rendu en Iran pour les funérailles de son père et s’est soudain retrouvé face à la perspective de ne plus pouvoir rentrer chez lui, aux États-Unis. Ou cette famille yéménite à New York, dont la fillette d’un an est désormais bloquée à des milliers de kilomètres, en Malaisie, parce que l’interdiction de voyager les a obligés à la laisser derrière eux. Ou ce journaliste soudanais persécuté qui vit dans la clandestinité en Égypte, craignant pour sa vie, et se demandant aujourd’hui si l’Amérique de Trump serait un endroit sûr pour demander l’asile.
Donald Trump est parti en guerre totale contre les droits humains
S’ajoutent également les nombreux réfugiés dans d’autres pays – majoritairement dans les pays du Sud – qui risquent de se sentir abandonnés par la communauté internationale. L’interdiction de voyager de Trump aura-t-elle des répercussions sur ces pays d’accueil, qui décideront d’accélérer les expulsions forcées de réfugiés ?
La campagne d’Amnesty International « J’accueille » est une puissante plateforme pour les millions de citoyens dans le monde qui choisissent de se montrer solidaires avec les réfugiés. La politique de Donald Trump en matière de sécurité aux frontières, fondée sur la haine et la peur, entre directement en conflit avec ce mouvement.
Au cours des six premières semaines de sa présidence, Donald Trump est parti en guerre totale contre les droits humains. Clamer son indignation ne suffit pas. Il est temps, et c’est la responsabilité de tous ceux qui sont attachés à ces droits, de se défendre.
En février dernier, la Haute Cour kenyane annulait par un jugement historique, la décision du gouvernement de fermer le camp de Dabaab, le plus grand camp de réfugiés au monde. Estimant que la décision du gouvernement Kenyan « de viser spécifiquement les réfugiés somaliens constitue un acte de persécution d’un groupe, est illégale, discriminatoire et donc anticonstitutionnelle », cet arrêt de la justice kenyane pourrait aujourd’hui servir d’exemple et rappeler aux pays les plus riches leur devoir d’assumer leur part de responsabilités dans l’accueil de ceux qui fuient la violence, la persécution et les conflits.
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