Contrôles au faciès en France : le port de caméras par les policiers ne changera rien

Nous vivons un moment d’incongruité absolu. La France en 2017, pays jusque-là démocratique, voit plusieurs de ses policiers, parfois même gradés, être accusés de viol et de meurtre.

Manifestation contre les violences policières à Paris, en France, en février 2017. © Francois Mori/AP/SIPA

Manifestation contre les violences policières à Paris, en France, en février 2017. © Francois Mori/AP/SIPA

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  • Baki Youssoufou

    Baki Youssoufou est fondateur et directeur de campagne de We Sign It. Il est aussi porte-parole de Active Generation et de #QuoiMaGueule, un collectif qui veut en finir avec les contrôles policiers au faciès.

Publié le 13 mars 2017 Lecture : 4 minutes.

S’achève un quinquennat de gauche, au cours duquel deux des trois ministres de l’Intérieur, Manuel Valls et Bruno Le Roux, furent élus en banlieue. Dans ce même laps de temps, nous avons vu Adama Traoré mourir étouffé sous le poids des forces de l’ordre, Théo Luhaka violé avec une matraque en pleine rue et Rémi Fraisse perdre la vie alors qu’il militait pacifiquement contre le barrage de Sivens .

Un dernier doigt d’honneur pour la route

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Face à cette succession de faits, nous attendions incrédules une ultime réaction du gouvernement. Nous aurions pu nous contenter d’une conférence nationale sur les rapports jeunes-polices, ou d’un simple moment d’indignation. Nous n’avons pas été déçus !

Le 1er mars est parue au Journal officiel une loi qui renforce les pouvoirs de la police en cas de contrôle. Comme un dernier doigt d’honneur de la part du gouvernement, des députés et des sénateurs, avant de repartir en campagne. Le texte double les peines encourues en cas d’outrage aux personnes dépositaires de l’autorité publique. Grâce aux vidéos des citoyens du collectif #Quoimagueule, on sait pourtant que la « rébellion » intervient toujours après un acte désobligeant ou une agression.

Cerise sur le gâteau, la loi aggrave les peines encourues en cas de refus d’obtempérer, passant de trois mois à un an d’emprisonnement. Cette disposition nous fait redouter les pires dérives dans la mise en œuvre de poursuites sur ce fondement. Par exemple, un jeune contrôlé six fois par le même policier (comme c’est le cas régulièrement) et qui refuse de s’arrêter au septième contrôle, risquerait la prison.

La loi a été votée dans l’indifférence générale : ni politiques, ni intellectuel-le-s, ni même artistes ne se saisissent du sujet. Inédit et hallucinant.

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Les caméras piétonnes, un placebo

Le gouvernement, comme d’habitude, nous a trouvé la « solution » : des caméras piétonnes portées par les policiers pendant leurs interventions. À #QuoiMaGueule, nous ne sommes pas anti-caméra dans l’absolu. Nous pensons même que ce dispositif aurait pu être efficace s’il avait été pensé pour protéger aussi les citoyen-ne-s. Mais à qui profitent-elles ?

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Nous, citoyen-ne-s membres du collectif #QuoiMaGueule, voulons en finir avec les contrôles au faciès et avons des doutes quant à l’efficacité des caméras mobiles pour traiter de la question des contrôles au faciès. Ce pour plusieurs raisons :

  • la camera sera déclenchée et éteinte par le ou la policier-ère. Cela donnera aux agents la possibilité de provoquer d’abord les citoyen-ne-s, puis de déclencher la camera filmant ainsi uniquement les réactions de la personne contrôlée ;
  • la question du traitement des données collectées par les caméras est assez floue. Y aura-t-il une méthode simplifiée pour y accéder ? Quels rôles pourraient jouer les associations et les citoyen-ne-s ? Et pour quelle valeur juridique, dans un cas comme dans un autre ?
  • Enfin, les cameras piétonnes ne règlent pas selon nous le problème des contrôles aux faciès. La caméra ne permet ni à la hiérarchie des agents de vérifier le respect des procédures, ni de s’attaquer aux motifs trop souvent subjectifs des contrôles au faciès. Le gouvernement aurait pu partir sur l’idée d’un récépissé de contrôle. Malheureusement, la place Beauvau n’a pas les moyens d’équiper ses gardiens de la paix d’un stylo et d’un carnet. D’où la solution, bien plus économique, de la caméra individuelle !

Un combat perdu d’avance ?

La question du récépissé pour tracer les contrôles et pour que les mêmes personnes ne soient pas contrôlées plusieurs fois le même jour a toujours été une promesse de la gauche. Le parti socialiste l’avait inclue dans ses 100 propositions 2012-2017. Une fois François Hollande au pouvoir, le sujet a été ignoré.

Les politiques, les partis, les syndicats et même les mouvements citoyens comme Nuit Debout, ont mis cette question loin derrière les problématiques liées au droit du travail. Tout se passe comme si le respect et la dignité des citoyens comptaient moins que d’avoir un CDI.

Au vu de ces expériences trop nombreuses et trop fréquentes, il est normal que nous doutions fortement de la sincérité des politiques et de la société civile à s’attaquer vraiment aux humiliations quotidiennes que nous subissons.

Nos smartphones contre les contrôles au faciès

Nous savons que le chemin est encore long et le cynisme des femmes et hommes politiques, sans limite. Nous savons aussi que les citoyen-ne-s de France ont suffisamment de solidarité et de bienveillance pour nous aider à avancer obtenir des résultats sur ce sujet.

Nos smartphones peuvent être une arme contre les contrôles au faciès. Les citoyens peuvent filmer ce qu’ils soupçonnent être des contrôles au faciès, diffuser les excès ou nous les envoyer, s’enquérir de la santé des contrôlés.

Ce n’est pas seulement le combat des Arabes, des Noirs et des Asiatiques de France, c’est celui de la liberté, de la démocratie et de la justice. Menons-le sur le terrain, sur Twitter et Facebook.

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