Sarkozy, Juppé et l’Afrique, une longue histoire…

Qui sera le représentant de la droite lors de la présidentielle de 2017 ? Entre l’ancien président Sarkozy et l’ancien Premier ministre Juppé, les hostilités sont ouvertes. Et elles ont des prolongements parfois inattendus sur le continent.

Nicolas Sarkozy en 2012 © Archives/AFP

Nicolas Sarkozy en 2012 © Archives/AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 3 novembre 2014 Lecture : 8 minutes.

Mis à jour le 10/11/2014 à 15:06 – Voir précision en fin d’article.

Le 2 octobre à la télévision, Alain Juppé a lancé un coup de griffe à l’adresse de Nicolas Sarkozy. "Seriez-vous choqué de voir le futur président de l’UMP continuer à donner des conférences rémunérées ? l’interroge une journaliste.

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– C’est une question d’éthique personnelle. Moi, je fais des conférences sans demander d’argent. Je crois n’avoir jamais reçu un euro, un dollar ou une livre. Mais chacun fait comme il veut." La réponse peut sembler anodine. Elle n’en est pas moins surprenante dans la bouche de l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac, qui, jusqu’ici, avait pris grand soin d’épargner Sarkozy et sa passion pour les conférences à 100 000 euros – ce qui, selon les calculs du Nouvel Observateur, représente depuis deux ans un revenu de plus de 3 millions d’euros. Sans le nommer, Juppé attaque aujourd’hui Sarkozy sur son train de vie – l’une des failles de la cuirasse de l’ex-président. C’est donc que, cette fois, il est déterminé à se battre pour tenter de prendre l’Élysée en 2017.

Parmi les prestations de Sarkozy à l’étranger figure un exposé sur "la bancarisation de l’Afrique". C’était le 25 juillet à Brazzaville, lors d’un forum économique organisé par la franchise afro-francophone du groupe américain Forbes. Pour l’occasion, l’ancien président, 59 ans, a interrompu ses vacances en famille au Cap Nègre, sur la Côte d’Azur.

Arrivé seul au Congo, il a été, lors du dîner de gala, invité à s’asseoir à côté de Denis Sassou Nguesso. Il s’est entretenu en tête-à-tête avec le chef de l’État congolais, puis a rencontré le Nigérien Mahamadou Issoufou, preuve qu’il est resté en contact avec les grands leaders africains. De retour en France, il avait prévu de déjeuner avec son vieil ami Alassane Ouattara, mais le président ivoirien a été contraint d’écourter ses vacances en raison de la crise d’Ebola.

Pas de tropisme africain pour Sarkozy

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Sarkozy aime-t-il l’Afrique ? Depuis des années, la question fait débat. "Franchement, il n’a jamais été attiré ni par ce continent ni par sa culture, estime un diplomate français qui le connaît bien. Mais c’est vrai qu’il s’y est intéressé en 2007. Quand on est président de la France, on est obligé de s’y mettre." Ce qui est sûr, c’est que Sarkozy n’a jamais eu pour l’Afrique un tropisme comparable à celui de Chirac. À l’époque où il était ministre de l’Intérieur (2002-2004, puis 2005-2007), il s’était même forgé l’image d’un champion de la lutte anti-immigration. Et en juillet 2007, son discours de Dakar sur "l’homme africain" qui ne serait "pas assez entré dans l’Histoire" a révulsé beaucoup de monde…

Sarkozy a toutefois retenu au moins une leçon de Chirac : en Afrique, l’amitié, ça compte. Et comme il est fidèle en amitié, les Africains apprécient. Avec Ouattara – un champion du libéralisme, comme lui -, le courant passe depuis plus de vingt ans. En avril 2011, pendant la bataille d’Abidjan, les deux hommes se sont parlé quotidiennement au téléphone. Le 7 mai 2012, au lendemain de sa défaite face à François Hollande, Sarkozy, la mine défaite, a vu arriver dans la cour de l’Élysée son vieil ami ivoirien venu le réconforter. Un geste qui ne s’oublie pas.

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Alors, en février 2014, après l’opération chirurgicale qu’il a subie en France, c’est Ouattara qui, à son tour, a reçu de Sarkozy d’abord un appel téléphonique dans sa chambre de l’hôpital américain de Neuilly, puis une visite dans sa résidence du sud de la France. Sarkozy-Ouattara… Leur relation n’est pas de celles, forcément intéressées, qui peuvent unir des chefs d’État : les deux hommes sont des intimes. Dans la bataille Sarkozy-Juppé qui s’annonce, il n’est pas difficile de savoir pour qui penche Ouattara.

> > Lire aussi: Alain Juppé et Nicolas Sarkozy sont dans un bateau…

Sarkozy et la famille Bongo

Autre marque de fidélité, la relation entre Sarko et la famille Bongo. Dès les années 1990, l’étoile montante de la droite française est repérée par le président gabonais, décédé en 2009, très fin connaisseur de la classe politique locale. En 2008, Sarkozy a reçu son fils à l’Élysée. Une manière de préparer la succession. Et de fait, à la mort de son vieux père, l’année suivante, le candidat Ali Bongo a reçu le clair soutien de la France.

L’avocat franco-libanais Robert Bourgi, qui était à l’époque conseiller à l’Élysée, ne l’a d’ailleurs jamais caché. Sarkozy a même secrètement dépêché son ministre Alain Joyandet en Guinée équatoriale pour demander au président Teodoro Obiang Nguema de cesser de soutenir l’opposant André Mba Obame. Aujourd’hui, les rapports Sarkozy-Bongo restent bons.

L’ancien président français met-il à profit sa cure d’opposition pour renouveler son réseau africain ? Pas sûr. Quand il était au pouvoir, il s’appuyait beaucoup sur Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée, et sur ce même Robert Bourgi. Or, en septembre 2011, ce dernier a fait scandale en révélant que, du temps de Chirac, il apportait des valises de billets à l’Élysée. Il a du même coup éclaboussé son ami Sarkozy, qui l’a battu froid pendant quelque temps.

Curieusement, depuis quelques mois, Sarko laisse de nouveau Bourgi l’approcher. "Ils se téléphonent souvent", confirme un ex-conseiller. Le 23 mai, quand l’opposant guinéen Cellou Dalein Diallo a souhaité rencontrer Sarkozy à Paris, l’entrevue a eu lieu dans le cabinet de Guéant, avenue George-V, en présence de Robert Bourgi. La vérité est que l’ancien président n’est pas moins fidèle au duo Guéant-Bourgi qu’à Ouattara ou à la famille Bongo.

Pour ses affaires et celles de son gendre, ledit Guéant se rend régulièrement à Abidjan, à Bangui et à Malabo. De son côté, Bourgi conserve certains appuis en Afrique, notamment en Mauritanie. Plus la présidentielle de 2017 va se rapprocher, plus le duo a des chances d’être sollicité. Le mois prochain, sauf énorme surprise, Sarkozy sera élu à la tête de l’UMP. De bonne source, un voyage en Afrique est envisagé dans le courant de 2015…

Juppé et les Africains, des relations de confiance

Et Alain Juppé, aime-t-il l’Afrique ? Là encore, la réponse n’est pas simple, l’homme étant pudique et rechignant à afficher ses affinités. A-t-il sur le continent, comme Sarko avec Ouattara, un ami de plus de vingt ans ? Pas sûr. Mais à l’âge de 69 ans, il a une déjà longue carrière derrière lui.

Au fil des ans, il a noué des relations de confiance avec nombre de responsables africains. Il connaît par exemple la famille Bongo depuis les années 1980, quand il se rendait au Gabon pour gagner les voix des Français de l’étranger. À chaque fois, il était reçu par Omar Bongo au Palais du bord de mer…

En juillet 2009, il a réussi à faire venir à Bordeaux, ville dont il est le maire depuis 1995, le Camerounais Paul Biya. En retour, en mai 2010, il s’est rendu à Yaoundé à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun. Il y a salué "la communauté de destin entre l’Afrique et la France".

Le discours de Yaoundé se voulait-il l’antidiscours de Dakar ? Ce qui est sûr, c’est que Juppé est beaucoup mieux introduit au Cameroun que Sarkozy. En 1996, pendant sa première traversée du désert, l’avocat d’affaires Nicolas Sarkozy s’était rendu à Yaoundé avec Philippe Jaffré, le patron de la compagnie Elf, dans l’espoir d’être reçu par le président camerounais. Mais la porte était restée close. Depuis, il tient Biya à distance.


Alain Juppé le 12 septembre 2014, à Paris
© Alain Robert / Aperçu / SIPA

Sur quels hommes la politique africaine de Juppé s’appuie-t-elle ?

Autre partenaire africain de longue date : Blaise Compaoré. Depuis quinze ans, les villes de Bordeaux et de Ouagadougou sont jumelées. Mais, en mars 2012, la relation entre les deux hommes s’est altérée. Dans une interview à Jeune Afrique, Juppé, qui a son franc-parler, avait dénoncé les "tentatives de bricolage" des Constitutions auxquelles se livrent certains chefs d’État désireux de briguer de nouveaux mandats.

"Cela a été dit au président Blaise Compaoré depuis longtemps, nous avait-il confié. Je me souviens d’une conversation téléphonique que j’ai eue avec lui en 2011, au cours de laquelle je lui ai dit de bien réfléchir avant de s’engager dans cette direction." Une conversation dont Compaoré ne garde aucun souvenir. Que pense-t-il aujourd’hui de la décision du président burkinabè d’organiser un référendum afin de pouvoir se représenter en novembre 2015 ? Il sait que sa réponse est guettée par nombre de Burkinabè.

Sur quels hommes la politique africaine de Juppé s’appuie-t-elle ? A priori, pas sur des affairistes. En janvier 2004, l’ancien Premier ministre a été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. "Pour couvrir Chirac, il a pris cher, commente l’un de ses proches. Alors, il évite aujourd’hui les mauvaises fréquentations." Les réseaux de la Françafrique ? Juppé semble s’en méfier. "

En 2011-2012, quand il était aux Affaires étrangères, il tenait Robert Bourgi à bout de gaffe, se souvient un haut responsable du Quai d’Orsay. "Je ne veux pas entendre parler de ce monsieur", nous disait-il." En fait, pour gérer ses relations africaines, le maire de Bordeaux s’appuie sur trois membres de son équipe municipale. Trois bons connaisseurs du continent.

D’abord, le Franco-Camerounais Pierre de Gaétan Njikam Mouliom. Administrateur à Sciences-Po Bordeaux, ce juriste est depuis cette année adjoint au maire chargé de la coopération avec l’Afrique. Les bonnes relations Juppé-Biya tiennent beaucoup à son carnet d’adresses. Ensuite, la Franco-Sénégalaise Sophie Senghor, directrice générale adjointe des relations internationales à la ville de Bordeaux. Apparentée à l’illustre inventeur de la négritude, elle n’est pas étrangère à la venue d’Abdou Diouf à Bordeaux – c’était en mai 2013, à l’occasion de l’un de ces colloques sur l’Afrique que Juppé affectionne.

Enfin, Alain Dupouy, le "sorcier blanc". Patron d’une société d’import-export, il s’occupe aussi, entre deux voyages sur le continent, des relations de la ville avec l’Afrique. Quant au président d’honneur du Club Bordeaux-Cameroun-France, il n’est autre que le milliardaire Pierre Castel, 87 ans, célèbre brasseur et troisième producteur mondial de vin, qui partage son temps entre Bordeaux, sa ville d’origine, et Genève, où il réside pour des raisons fiscales.

Juppé se rendra-t-il en Afrique l’an prochain ? Le projet est à l’étude. S’il se réalise, l’ancien Premier ministre souhaite faire étape en Côte d’Ivoire, chez le grand ami de son rival. Le match Juppé-Sarkozy ne fait décidément que commencer !

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Précision :

Contrairement à ce que nous avons écrit dans l’article "Sarkozy, Juppé et l’Afrique, une longue histoire", paru dans Jeune Afrique n° 2807-2808 du 26 octobre 2014, Claude Guéant, l’ancien secrétaire général de l’Élysée, n’a pas participé à la rencontre du 23 mai dernier entre Nicolas Sarkozy et l’opposant guinéen Cellou Dalein Diallo. L’avocat Robert Bourgi a en revanche assisté à ladite entrevue, dans les bureaux de l’ancien président français, rue de Miromesnil, à Paris.

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