Guinée : chroniques d’une lutte acharnée contre Ebola

Entre la capitale guinéenne sous tension et une ville frontière ivoirienne figée, visite d’une région qui vit dans l’angoisse.

Campagne d’affichage à Conakry. © CELLOU BINANI / AFP

Campagne d’affichage à Conakry. © CELLOU BINANI / AFP

Publié le 4 novembre 2014 Lecture : 5 minutes.

Ce 13 octobre au soir, la librairie de Sansy Kaba Diakité est bondée. Les jeunes ont tenu à honorer ce rendez-vous fixé à Kaloum, dans le centre-ville de Conakry. Ils sont une vingtaine à écouter les auteurs, dont un spécialiste du roman policier et un aspirant écrivain. Les questions fusent pendant près de deux heures – à aucun moment, le sujet Ebola n’est abordé.

Une parenthèse alors que l’épidémie frappe le pays depuis dix mois, et qu’elle a déjà coûté la vie à près de 900 Guinéens (au 20 octobre). La maladie n’a jamais été autant présente dans les esprits, mais pour les étudiants présents ce soir-là il s’agit avant tout de profiter d’une bulle d’air, dans une capitale devenue presque irrespirable depuis l’arrivée d’Ebola.

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Ebola : plongée en Guinée et en Côte d’Ivoire avec nos envoyés spéciaux by Jeune Afrique

Jeune trentenaire dynamique, Sansy Kaba Diakité est connu pour sa passion des livres, qu’il s’emploie à faire entrer dans les foyers guinéens. Alors, épidémie ou pas, il faut continuer : distribution d’oeuvres, conseils aux jeunes, aux associations…Et, depuis peu, préparation de prospectus de sensibilisation aux dangers d’Ebola. "C’est en s’y mettant chacun à son niveau que nous réussirons à vaincre le virus", dit-il entre deux appels sur un portable qui sonne frénétiquement.

Soudain, la nuit se fait orageuse. À l’autre bout de la ville, à Lambanyi (banlieue nord), le blogueur Alimou Sow s’en réjouit. "Enfin ! Ça faisait longtemps !" s’exclame-t-il, comme pour souligner la normalité de la chose dans un Conakry où l’exceptionnel s’est durablement installé. Le bar-restaurant au bord d’un lac paisible où il est attablé avec deux amis est un endroit habituellement très fréquenté par les jeunes, même en semaine. Mais ces derniers temps, il s’est un peu vidé.

La peur de la maladie

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Pour Alimou, "la peur de la maladie a un réel impact sur les sorties des gens". Ebola par-ci, Ebola par-là. Ebola sur des affiches géantes, à la télévision, à la radio, dans les magazines… Le journal de la Radio Télévision guinéenne (RTG) est en grande partie consacré au virus. Ebola en chansons, en sujets de conversation, en blagues… Ebola est partout. Pourtant, contrairement à ses homologues libérienne et sierra-léonaise touchées de plein fouet, la capitale guinéenne a été "relativement" épargnée pour le moment. La vie politique s’adapte elle aussi.

L’Assemblée nationale a fait du 21 octobre une journée spéciale Ebola lors de laquelle les députés ont interpellé le ministre de la Santé et les différentes organisations internationales impliquées, tandis que le président de la République, Alpha Condé, recevait pendant près de quatre heures, au palais Sékoutoureya, des médecins à la retraite "réquisitionnés" et plusieurs centaines de leurs jeunes confrères en recherche d’emploi.

Les ministres sont appelés à sillonner le pays pour sensibiliser les populations.

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"Lorsqu’un pays est en guerre, il appelle ses réservistes. Et aujourd’hui, nous le sommes", a-t-il déclaré. Avant de fustiger la communication "défaillante", au départ, de son propre gouvernement ainsi que d’ONG comme Médecins sans frontières (MSF), et l’indiscipline du corps médical guinéen, responsable selon lui de la résurgence d’Ebola à Conakry en avril, "alors que la bataille était pratiquement gagnée".

Les ministres, eux, sont appelés à sillonner le pays pour sensibiliser les populations. Les Conakrykas doivent aussi gérer l’absence d’école. La rentrée n’a toujours pas eu lieu, faute de pouvoir assurer la sécurité sanitaire des enfants. Seuls les établissements américain et français ont repris du service. Dans ce dernier, sur le millier d’enfants scolarisés, une petite centaine manque à l’appel – soit autant de foyers qui ont quitté le pays ou décidé de ne pas scolariser tout de suite leur progéniture.

Le gouvernement assure que les cours pourront reprendre prochainement. En attendant, certaines radios locales dispensent des leçons sur leurs ondes, tandis que le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) réfléchit à des méthodes alternatives d’éducation.


Taux de contagion des principaux virus (nombre de personnes susceptibles d’être contaminées par un malade).

Un ennemi invisible

Les organisations internationales sont partout. Unicef, Pnud (Programme des Nations unies pour le développement), PAM (Programme alimentaire mondial), MSF… sont les sigles les plus prononcés en ville. De mémoire de Conakryka, jamais les travailleurs internationaux n’avaient été si nombreux. Mais personne ne s’en plaint : "Heureusement qu’ils sont là pour amortir le ralentissement économique que nous subissons", explique ainsi le propriétaire libanais d’un restaurant du centre-ville. Et ce ne sont pas les gérants du très huppé hôtel Millenium qui le contrediront.

Ouvert depuis quelques mois dans la commune résidentielle de Dixinn, l’établissement est devenu le repère des fonctionnaires internationaux. Une bouffée d’oxygène pour un secteur hôtelier en difficulté, tout comme bon nombre d’autres. Si les grandes entreprises tiennent le coup, les PME commencent à serrer les dents. Aboubacar, expert-comptable, voit s’accumuler les factures et les salaires en retard, au point de se demander si certains mauvais payeurs "ne se servent pas de l’excuse Ebola pour ne pas régler leurs dettes".

Face à l’ennemi invisible, le quotidien est chamboulé. Impossible d’entrer dans un lieu public, dans un restaurant, dans un hôtel (même lorsqu’on y séjourne) sans se désinfecter les mains à l’eau chlorée ou se faire prendre la température par des hôtes équipés d’un thermoflash (un thermomètre électronique sans contact). Avec, à chaque fois sept reprises en une journée pour l’auteur de ces lignes), une petite dose de stress durant les quelques secondes où la température monte : 35 °C… 36,4 °C… 37 °C. Et la hantise d’entendre l’appareil s’emballer devant un début de fièvre. La poignée de mains a presque disparu. On se dit bonjour de loin, la main sur le coeur ou poing contre poing.

>> Retrouvez ici tous nos articles sur l’épidémie d’Ebola

Les ONG sur le qui-vive

Pour pallier le manque de moyens dans les quartiers populaires, de nombreuses ONG nationales, telle la Coalition des femmes leaders de Guinée (Cofel), dirigée par Fatoumata Baldé Yansané, sont sur le qui-vive. L’enjeu ? Redistribuer l’aide et les dons reçus de l’étranger (gants, savon, chlore), notamment grâce aux réseaux sociaux. En avril, son association a même organisé avec la RTG un téléthon qui a permis de récolter près de 25 millions de francs guinéens (environ 2 720 euros). Une somme remise ensuite au Comité interministériel de riposte contre Ebola.

"Il faut que les Guinéens se mobilisent, qu’ils fassent preuve de plus de solidarité, car tout ne pourra pas venir de l’étranger. Ebola est chez nous, et à l’instar des autres pays qui ont connu des épidémies dans le passé et en subissent encore aujourd’hui, nous ne nous en débarrasserons pas facilement", souligne Fatoumata Baldé Yansané.

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