Ebola : 60 jours pour gagner la guerre

Alors que le virus ne cesse de s’étendre, la communauté internationale s’est enfin réveillée. La victoire contre l’ennemi invisible dépendra des efforts déployés dans les deux prochains mois.

Des soignants de MSF à Monrovia. © ZOOM DOSSO / AFP

Des soignants de MSF à Monrovia. © ZOOM DOSSO / AFP

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Publié le 10 novembre 2014 Lecture : 4 minutes.

"Nous n’avons pas d’indications rassurantes sur la hausse exponentielle des infections liées à Ebola. Si nous ne parvenons pas à la ralentir, ce ne seront plus des centaines de cas par semaine que nous compterons, mais des milliers." Christopher Dye, directeur de la stratégie à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sonne le tocsin. Il était temps…

Les prévisions de l’institution onusienne, désormais alarmantes alors qu’elle a mis près de six mois à se réveiller, font froid dans le dos : plus de 10 000 cas par semaine à partir de décembre prochain pour les décomptes officiels, l’OMS estimant au double la contamination réelle.

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Prévoir le pire en espérant le meilleur : tel pourrait être le credo de l’OMS. Mais il ne suffit plus de croiser les doigts en priant pour que la plus grave "urgence de santé publique des temps modernes" (dixit l’OMS, toujours), disparaisse d’elle-même. Le drame Ebola, en 2014, n’a plus rien à voir avec la vingtaine d’épidémies apparues depuis Yambuku, localité du nord-ouest de l’ex-Zaïre (actuelle RD Congo) où apparut, en 1976, ce virus.

Une gestion suicidaire de l’épidémie

Depuis lors, et jusqu’en février 2014 – quand Ebola s’est propagé depuis la Guinée -, le virus est resté circonscrit dans des localités isolées d’Afrique centrale. Aucun de ces épisodes, aussi soudains dans leur apparition que dans leur disparition, n’a provoqué plus de 300 morts. L’épidémie qui frappe aujourd’hui l’Afrique de l’Ouest, c’est-à-dire la Guinée (16 % des cas), la Sierra Leone (36 %) et le Liberia (47 %) – le Sénégal n’a connu qu’un cas, guéri, le Mali vient d’en identifier un, le Nigeria en dénombre une vingtaine, alors qu’un autre foyer, issu d’une souche différente, sévit en RD Congo (87 cas) -, n’a en commun avec ses prédécesseurs que ses cibles privilégiées : des pays très pauvres, à peine sortis de tragiques guerres civiles ou de longues périodes d’instabilité, où les systèmes de santé et la capacité de l’État à prendre les choses en main sont extrêmement faibles.

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>> Lire aussi : l’épidémie d’Ebola franchit le cap des 4 000 morts en Afrique de l’ouest

Ebola, qui n’est pourtant pas le plus dangereux des virus répertoriés (il ne se propage pas dans l’air, succombe très facilement aux désinfectants comme l’eau de Javel, etc.), repousse toutes les limites, notamment en sortant de ses anciennes aires de prédilection pour s’introduire en milieu urbain, où les contacts sont multipliés par cent, et où l’exportation du fléau, par des voies terrestres, aériennes ou maritimes, devient bien plus aisée.

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Depuis l’apparition de l’épidémie, sa gestion s’est révélée suicidaire. Dans les pays concernés, on pouvait s’y attendre. Mais les grandes organisations, dont ce devrait être la préoccupation première, ou les nations qui ont les moyens de leur venir en aide, ont toutes failli : OMS, ONU, Union européenne, États-Unis, etc.

Ce n’est qu’une fois qu’il s’est senti menacé que l’Occident s’est mis en branle. Pis, l’Afrique elle-même ne s’est guère illustrée : Union africaine aux abonnés absents (la présidente de la Commission, Nkosazana Dlamini-Zuma, a d’ailleurs attendu près de sept mois avant de se rendre enfin dans les pays concernés, le 23 octobre), ténors du continent (Afrique du Sud, Nigeria, Algérie, Égypte, Angola, milliardaires, grandes entreprises) guère préoccupés ou peu réactifs…

La solidarité africaine, si souvent vantée dans les grands discours de ses chefs, tient plus du mythe que de la réalité. Les seuls personnels soignants envoyés sur le terrain l’ont été grâce à des ONG comme Médecins sans frontières ou par La Havane et Pékin. Pourtant, tout le monde sait que la clé de l’endiguement de l’épidémie se trouve là plutôt que dans le déversement des millions de dollars promis (et toujours pas arrivés). Car sans eux – on estime les besoins actuels à 19 000 médecins, infirmières ou aides-soignants au total -, point de salut.

On est très loin du compte, dans tous les domaines. Sur les 1 000 véhicules demandés, seuls 69 sont arrivés. Les 500 personnes destinées à prendre en charge l’incinération des corps des victimes de la maladie (toujours contagieuses après leur décès) ? Cinquante sont sur le terrain. Le milliard de dollars d’aide demandé par Ban Ki-moon ? Le 22 octobre, seuls 9 millions ont été déposés sur le fonds créé à cet effet…

Soixante jours avant l’échéance

Près de soixante jours nous séparent de l’échéance fatidique fixée par l’OMS : le passage d’une année à l’autre, qui sera apocalyptique selon les haruspices onusiens, ou qui révélera au contraire la capacité de l’humanité à répondre enfin aux grandes menaces de notre temps.

Venir à bout d’Ebola (identifier les personnes infectées, les isoler, retrouver la trace de ceux avec qui elles ont été en contact, systématiser les comportements qui réduisent les taux de transmission, soigner les patients en multipliant les chances de survie, incinérer les corps, etc.) n’a rien d’impossible, en théorie.

Pour que l’épidémie soit sous contrôle, il "suffirait" que 70 % des cas détectés soient pris en charge dans les conditions qui réduisent la transmission du virus et que nous venons d’évoquer. Cela suppose des moyens, qui existent évidemment. Mais aussi de mener cette guerre, car c’en est une, en un temps record et de manière concertée. Avant qu’il ne soit trop tard…

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