Questions simples sur l’Orient compliqué

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 28 octobre 2014 Lecture : 3 minutes.

La pensée unique a toujours accompagné la bataille, comme un poisson parasite sur le dos d’une baleine. Dans le contexte actuel de guerre ouverte entre l’Occident et l’hydre jihadiste, les interrogations – voire les évidences – qui suivent seront donc jugées politiquement incorrectes. Raison de plus pour les énoncer.

Depuis trois mois, les Américains et leurs alliés de la coalition anti-Daesh ont mené quelque 600 frappes aériennes en Irak, puis en Syrie. Comme tous les habitants du pseudo-califat de Baghdadi sont a priori considérés comme des combattants en civil, et que les bombes made in USA sont réputées intelligentes (elles épargnent les femmes et les enfants !), il n’y a aucune victime civile.

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Une fable grossière, bien sûr, moult fois servie depuis la guerre du Golfe, mais qui fonctionne. À preuve : nulle ONG droit-de-l’hommiste ne se pose la moindre question, comme si le degré de leur indignation variait en fonction de la pilosité des victimes, barbues ou non. (À l’exception de l’Observatoire syrien pour les droits de l’homme, qui a, dans un communiqué du 23 octobre, publié un premier bilan approximatif. Les frappes de la coalition avaient tué "au moins" 520 jihadistes et une trentaine de civils en Syrie. Le nombre de victimes en Irak, où les bombardements ont commencé près de deux mois plus tôt est, lui, inconnu)

Daesh, c’est un fait acquis, est une organisation terroriste. Or c’est faux. Il s’agit d’un groupe militaro-religieux particulièrement barbare qui n’a pas vocation à s’exporter, contrairement à Al-Qaïda. Mais d’où vient Daesh ? Du ciel ? Non. Baghdadi et ses sectateurs ont deux géniteurs : l’Amérique tout d’abord, qui a créé, il y a onze ans, les conditions d’un chaos quasi irréversible en Irak, l’Arabie saoudite ensuite.

Décapitations, tribunaux islamiques, persécution des minorités, références constantes au hanbalisme – l’école la plus conservatrice de l’islam sunnite : c’est le modèle saoudien qui s’applique avec zèle de Raqqa à Mossoul. Les clés de Daesh sont donc à Riyad autant qu’à Washington. Mais puisque la pétromonarchie participe à la coalition, on ne le dira pas.

Les Kurdes sont plus que jamais les héros des médias et de Bernard-Henri Lévy, qui, le contraire nous aurait déçus, a sauté sur Kobané. Kobané menacée d’urbicide et dont on nous vante la stupéfiante résistance face aux hordes d’islamistes le cimeterre entre les dents, comme hier Guernica, Stalingrad, Sarajevo et Jérusalem assiégée par Saladin. Or qui se bat à Kobané ? Les "Unités de protection du peuple", clone et filiale syrienne du PKK turc, parti dictatorial, hyper­nationaliste, considéré comme terroriste et narco­trafiquant par l’Europe et les États-Unis. Mais ses combattantes cheveux au vent sont si photogéniques que l’on s’abstiendra de gâcher le film.

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La Turquie, elle, est la couarde de l’histoire. La puissance munichoise prête à laisser massacrer les Kurdes, par veulerie et par complaisance à l’égard des jihadistes. Qui osera dire pourtant que les dirigeants d’Ankara ont quelques raisons de se méfier de ceux qui veulent les pousser à intervenir au sol, afin de leur permettre de poursuivre dans les airs leur guerre zéro morts ?

Les Turcs ont de la mémoire : ils ont dû faire face, seuls, à la marée des réfugiés kurdes après la première guerre du Golfe et ont assisté, impuissants, à la désintégration de l’Irak après l’invasion américaine. Leur faire la leçon depuis Paris, Londres ou Washington a donc quelque chose d’indécent. On ne s’en prive pourtant pas.

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La palme de l’incorrection politique revient à une personnalité dont il faut saluer le courage : John Kerry. Oui, le secrétaire d’État américain. En évoquant la situation dans l’ensemble du Proche-Orient, cet homme honnête a eu le courage, il y a quelques jours, d’établir un lien entre le conflit israélo-palestinien et l’irrésistible progression du cancer jihadiste. Le terrorisme, a-t-il dit, "plonge ses racines dans l’humiliation et le déni de toute dignité".

Benyamin Netanyahou, dont c’est précisément la politique, a aussitôt décroché son téléphone pour se plaindre auprès de la Maison Blanche. Du coup, la petite phrase iconoclaste est passée à la trappe médiatique. Sur l’autoroute des idées reçues, aucune sortie n’est tolérée.


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