Mali : Pédro Kouyaté… métro, tempo, brio !
Après avoir exploré le monde et la tradition mandingue avec les plus grands, Pédro Kouyaté s’est posé dans le tube parisien. Entre deux concerts, le Malien envoûte les passants.
Les visages sont fermés, les mâchoires serrées, les corps bousculés. Une foule compacte vous étouffe. Vous devez jouer des coudes pour survivre dans la jungle parisienne. C’est l’heure de pointe.
Chacun se prépare à affronter la journée et presse le pas. Les galeries du métro ne désemplissent pas. Difficile de se frayer un chemin… quand soudain le temps suspend son vol. Quelques notes de guitare – ou de kora, l’on ne sait trop – résonnent, discrètes d’abord. Vous n’y prêtez guère attention. Vous pensez déjà à la réunion qui vous attend, à l’article qu’il vous faudra écrire.
>> À écouter aussi : la playlist de Jeune Afrique
Le quotidien vous engloutit. Vous vous laissez emporter par le flot… jusqu’à ce que les notes se fassent plus insistantes et explosent. Pleinement. Librement. Jusqu’à envahir les couloirs. Au loin, une silhouette longiligne courbée sur sa guitare creuse l’espace.
Les voyageurs ralentissent, s’arrêtent un instant. Un homme attire leur attention, votre attention. Ses doigts interminables glissent sur le manche de l’instrument, réveillent les cordes, les entraînent dans une course folle. La magie opère.
Un blues mandingue d’une énergie incroyable et d’une beauté saisissante fend l’air. Il faut dire que le musicien a été à bonne école. Celui qui a grandi à N’Tomikorobougou, un quartier de Bamako où sont installés de nombreux artistes, dont Toumani Diabaté, a été formé par le maître de la kora himself. Fils d’un conteur troubadour publicitaire, Pédro Kouyaté s’est fait seul.
"Ma mère vivait en France, où elle est morte, confie-t-il de sa voix rauque. J’ai été élevé par ma famille et par la rue. Je traînais dans le quartier et j’ai fini par devenir "l’homme à tout faire" de Toumani Diabaté, qui m’a pris sous son aile."
Il découvre ainsi la kora, la guitare, le ngoni et la calebasse. Un instrument qui lui fera parcourir le monde. Boubacar Traoré, l’illustre "Kar Kar", qui a besoin d’un calebassiste, l’a repéré et l’emmène avec lui sur les routes d’Europe et des États-Unis entre 2002 et 2005. Mais au bout de trois années, l’ancien étudiant en sociologie finit par rêver d’autre chose. "Quand tu tournes avec des stars comme Boubacar, tu finis par ne plus avoir de recul", avoue-t-il modestement.
L’artiste a besoin de se recentrer et de travailler autrement. De s’éloigner quelque temps du milieu musical occidental où le racisme et le paternalisme à l’égard de ce qu’on appelle là-bas la "world music" ne sont pas rares. Le déclic se fera dans le métro parisien, où un bassiste noir américain s’est installé : "J’ai été séduit par sa liberté, sa vérité." Une liberté que le Malien a depuis conquise.
"Je suis fier d’être africain"
En faisant du métro "son bureau" où il se rend tous les matins, station République ou Jourdain. C’est selon. Une assiduité qui lui permet de vivre de son art et de financer ses disques et ses concerts dans des salles prestigieuses comme le New Morning, qu’il remplit aisément, d’être invité au festival Musiques métisses d’Angoulême ou à Jazz in Marciac. Sa musique emprunte des tonalités venues d’horizons fort divers.
"Je suis fier d’être africain. Je suis un griot. J’écoute du Bach, du Chopin, j’adore la musique bretonne, celtique. J’aime cette diversité", défend-il. Sa voix éraillée, ses envolées jazzy, sa poésie, son blues qui réinvente la tradition musicale mandingue, séduisent jusqu’au Japon, où il a été invité, en 2012 et dernièrement en mars, à se produire pendant un mois à travers tout l’archipel.
Et il y a fort à parier que le 8 novembre prochain, le Café de la danse, où il présentera son quatrième album, Tramontane, dans lequel il a troqué sa guitare pour le ngoni des chasseurs maliens, affichera complet. Après dix années riches de rencontres et d’enseignements dans le métro, Pédro Kouyaté, qui a trouvé sa voie, aimerait maintenant pouvoir s’appuyer sur une maison de disques. À bon entendeur !
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